Décryptage - Javier Milei : une élection inquiétante pour le futur de l’Argentine ?

Le 19 novembre dernier, Javier Milei a remporté l’élection présidentielle argentine avec près de 56% des voix. L’ultralibéral se définit comme un “anarcho-capitaliste” et promet des mesures politiques “chocs”. Surnommé “el loco”, il n’a cessé de multiplier les propos outranciers lors de la campagne. Pour comprendre comment un tel personnage a pu être élu président, il faut revenir sur la situation économique et sociale en Argentine qui interfère directement sur les choix politiques des citoyens. 

Javier Milei souhaite mener un plan “tronçonneuse” et réaliser des coupes économiques drastiques PHOTO : Getty Images / Tomas Cuesta

Quelle était la situation argentine avant l’élection de Milei ?

En 2019, Alberto Fernández, péroniste du centre gauche, est investi président de l’Argentine. Il a principalement été élu pour endiguer la crise économique que traversait le pays. Or, la pandémie de covid a balayé cet espoir. L’Argentine s’est retrouvée confinée alors que certaines parties du territoire comptaient peu de personnes infectées. La crise sanitaire a conduit à l’arrêt des activités. L’économie était alors interrompue et le pays paralysé. 

La réponse économique a été plus tardive. L’État a pris des mesures pour aider les entreprises (en particulier les plus petites) et les argentins. Neuf millions de personnes ont ainsi pu recevoir un “revenu familial d’urgence” ; l’IFE (“Ingreso Familiar de Emergencia”). Seul problème : le gouvernement avait prévu de la distribuer à 5 millions de personnes. Les mesures mises en œuvre par l’État pour pallier les conséquences de la crise sanitaire n’ont fait qu’aggraver la situation économique du pays.

Aujourd’hui, en Argentine, l’inflation atteint un taux record de 140% sur un an. Cela en fait l’un des indices les plus élevés au monde. 

Selon les données de l’institut argentin de statistiques (l’INDEC), en octobre 2023, les prix ont augmenté de 142,7 % par rapport à octobre 2022. SOURCE : INDEC

La colère des argentins

Virginia Mellado, chercheuse à l’IRES et à CONICET (instituts de recherches français et argentin), revient sur les conditions de l’élection de Javier Milei. Celle-ci intervient dans un contexte économique brûlant. L’inflation record y joue un rôle majeur. La sociologue explique que les argentins ne peuvent rien planifier puisqu’ils ne savent pas comment les salaires vont évoluer. “Deux fois par semaine, il y a des changements de prix”. Une semaine, les argentins peuvent acheter en masse dans les magasins. La semaine suivante, ils peuvent à peine se payer de quoi se nourrir. Les produits alimentaires de base (comme un simple yaourt) peuvent vite devenir inabordables. Aussi, les supermarchés sont souvent vides. Leur stratégie est “de retenir les marchandises”. 

Pour faire face, la population argentine achète des dollars. Aujourd’hui, 10% des dollars du monde se trouvent en Argentine. Toutefois, le gouvernement a mis en place une régulation extrême. Il a interdit l’achat de dollars. En réalité, il existe un marché noir du dollar qui est si développé qu’il est “à la première page du journal”. 

Pour Virginia Mellado, Javier Milei a “su récupérer une sensibilité chez les personnes fatiguées” qui veulent du changement coûte que coûte.




La stratégie “attrape-tout” de Javier Milei

J. Milei a conscience du malheur des argentins face à la crise économique. Il promet alors de mener une politique en totale rupture avec celle mise en œuvre par l’ancien président péroniste. Cela passe par des mesures radicales comme la promesse d’une dollarisation intégrale. La monnaie nationale, le peso, serait alors remplacée par le dollar américain. Pour Milei, cela permettra de stopper l’hyperinflation. En réalité, faute de dollars dans la Banque centrale argentine, Virginia Mellado considère qu’il ne peut techniquement réaliser une dollarisation.

Au lendemain de son élection, le nouveau président argentin a publié un décret qui dérégulerait l’économie. Il y prévoit notamment de s’attaquer à l’immobilier, au marché du travail et aux privatisations. Son “objectif est de rendre la liberté et l’autonomie aux individus et [de] commencer à désamorcer l’énorme quantité de réglementations”. 

Enfin, Javier Milei s’érige en “anti-système”. Il a saisi la méfiance des argentins envers les autorités gouvernementales. En effet, 50% de la population préfère travailler dans le secteur informel. L’État ne dispose donc pas d’information sur cette partie des citoyens. Par exemple, ils ne confient pas leurs économies aux banques nationales.  Ainsi, Milei dit vouloir en finir avec l’enrichissement politicien. Il se situe alors dans une posture populiste. Il analyse avec soin les préoccupations des argentins afin de tenter d’y répondre pour se faire élire, et ce, avec succès. Il promet de leur apporter le changement qu’ils attendent avec impatience. 

La surprise de l’élection de Javier Milei

Javier Milei ne dispose pas de structure partisane. Il n’est pas un professionnel de la politique. Il n’avait alors pas réalisé de bons scores lors des primaires en août qui ont “un effet de stabilisation sur les institutions” d’après V. Mellado. Il ne semblait pas être une menace pour Sergio Massa, le candidat péroniste de centre gauche. L’ancien ministre de l'Économie était même arrivé en première position lors du premier tour de l’élection présidentielle avec environ 37% des voix. La droite se trouvait en troisième position après Milei.

Pourtant, le deuxième tour de l’élection consacre Milei comme vainqueur. Comment a-t-il pu dépasser Sergio Massa ?

Le 22 octobre, Javier Milei a reçu le soutien de taille de Patricia Bullrich, candidate de la droite traditionnelle, éliminée lors du premier tour. Photo: @inakiigutierrez

Ce ralliement de la droite lui a donc procuré une légitimité importante. De nombreux argentins ont été rassurés par cette coalition qui, à leurs yeux, rationalisait la candidature de Milei.

Peut-on relativiser l’élection de Javier Milei ?

Pour Virginia Mellado, Milei, bien qu’il semble être un personnage à craindre, car imprévisible, ne représente pas un réel danger pour l’Argentine. D’abord, cette coalition avec la droite le contraint dans son action politique. Il n’est pas seul à gouverner. 

Ensuite, les grandes réformes qu’il entend mener doivent forcément passer par les instances parlementaires. Or, il ne possède pas de majorité ni de vrais soutiens à l’Assemblée (conséquence de son manque de structure partisane). La chercheuse dit ne plus avoir peur de son ascension au pouvoir. 

Les argentins ont peut-être “sauté de l’enfer à l’abysse” mais ils restent protégés par les institutions. Celui qui a capitalisé sur le vote de la colère ne peut espérer être réélu s’il ne redresse pas l’Argentine. 

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