Belgique : une année avant les élections fédérales de 2024, quel constat ?  

Un an avant les élections fédérales fixées au 9 juin 2024, l’inquiétude monte dans le pays concernant l’ascension politique fulgurante des partis d’extrême droite flamands qui se veulent accessibles et modernes. Alors qu’il n’est pas rare d’entendre l’injonction “Eerst onze mensen” (“d’abord notre peuple”, en flamand), signature de l'extrême droite flamande, dans des manifestations ou rallyes politiques, la population se mobilise afin de combattre la propagation des idées d'extrême droite.  Cet article n’a pas la prétention d’exposer l’ensemble du fonctionnement politique belge. Moi-même, ni mon entourage, ne sommes capables de l’expliquer dans son entièreté, ce qui témoigne du fossé qui s’est creusé entre la population et la classe politique. Il s’agit ici plutôt d'attirer l’attention sur un des cas de la montée de l'extrême droite en Europe et sur les enjeux que représentent les élections fédérales belges de 2024. 

Tom Van Grieken, président du Vlaams Belang. Crédit photo : BELGA

En Belgique, il existe 5 parlements. 5 parlements pour 11 millions d’habitants. Ce chiffre est le résultat d’une histoire linguistique et religieuse dans cette région tampon entre la France, l’Allemagne et les Pays-Bas anciennement espagnols. On compte 3 régions : la Région de Bruxelles-Capitale, la Flandre et la Wallonie. En plus de ce découpage, il existe un découpage linguistique. Ainsi, on compte en plus 3 communautés : la communauté flamande, la communauté francophone (qui regroupe la Wallonie et la capitale pour donner lieu à la fédération Wallonie-Bruxelles) et enfin, la communauté germanophone. Ces communautés et régions forment les 5 parlements : le parlement flamand, le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le parlement bruxellois, le parlement germanophone et enfin, le parlement fédéral. Ce dernier est, comme son nom l’indique, le parlement fédérateur qui rassemble les représentants de l’ensemble des régions et qui a vocation à gouverner le pays dans son ensemble. 

Sans grande surprise, les dernières élections fédérales de 2019 ont donné lieu à un gouvernement de coalition de partis traditionnels conservateurs et libéraux, mais aussi, des partis écologiques et de gauche. L’état du gouvernement et, par extension, du parlement fédéral est un indicateur des tensions entre communautés en Belgique. Depuis 2019, la politique menée par le gouvernement De Croo (en référence au nom du premier ministre Alexander De Croo issu du centre-droit flamand), a été en continuité avec les politiques traditionnels en Belgique. Cependant, comme à chaque élection depuis 1991, l’équivalent des élections présidentielles de 2002 en France avec la percée historique du Front national, la question de l'extrême droite flamande revient sur la table et pose la question de la gouvernabilité du pays. 


Aujourd’hui, deux partis endossent, non fièrement, le combat de l'extrême droite en Belgique : la N-VA, la Nieuwe Vlaams Alliantie (la nouvelle alliance flamande) dirigée par Bart De Wever et le Vlaams Belang (intérêt flamand) sous l'égide de Tom Van Grieken. La N-VA représente une frange moins extrémiste du mouvement, mais elle a enclenché en Belgique depuis la crise politique de 2009 un processus de dédiabolisation de l’extrême droite. Le Vlaams Belang est un parti créé par des collaborateurs SS flamands dans le but d’affirmer une identité flamande dans un contexte de montée du nationaliste partout en Europe. Le parti utilise le point de tension historique et connu de tous en Belgique : la dualité linguistique. En effet, celui-ci joue de l’histoire du pays afin d’entretenir un sentiment de persécution vécu par la communauté flamande et enferme petit à petit celle-ci sur elle-même. Aussi, le parti entretient un sentiment d’hostilité à la langue française et aux francophones, à l’Europe, aux migrants, aux musulmans ou encore, aux personnes racisées. Sur fond de discours racistes, fascistes et identitaires, le parti utilise la méfiance politique et l'individualisme qui se sont installés dans le pays. Il profite également du contexte mondial, à savoir, une inflation record et l’éclatement de plusieurs conflits internationaux, notamment la guerre en Ukraine.


Comment atteindre la population par la communication ? 

Afin de diffuser ces discours de haine, le parti investit massivement dans sa stratégie de communication. En 2022, 1 million d’euros ont été exclusivement consacrés au développement de leurs réseaux sociaux. Cela équivaut à 5 fois le montant des 5 plus gros partis de Belgique mis ensemble sur la même période. Le parti est ultra-présent sur tous les médias de communication utilisés aujourd’hui comme Instagram, Twitter, TikTok, Facebook ou encore Telegram. Sur ces réseaux, il partage et publie du contenu judicieusement élaboré afin d’échapper aux lois et aux règles de la liberté d’expression. Même si la plupart du contenu partagé ne peut engendrer des poursuites judiciaires contre le parti, un œil attentif et averti se rendra compte des codes utilisés pour faire passer des messages racistes, anti-francophones ou xénophobes. À l’instar de Donald Trump pour la campagne de 2016, le Vlaams Belang utilise aussi des outils comme NationBuilder, permettant de rester connecté avec la communauté d’adhérents. De plus, s’inscrivant dans une dynamique de dédiabolisation de l'extrême droite, les représentants du parti sont régulièrement invités sur les plateaux télés flamands à des heures de grande écoute. Cela contribue à la normalisation de la présence de l'extrême droite dans le paysage médiatique belge, mais aussi, à la normalisation de la désinformation propre à l'extrême droite.  

Le parti se veut aussi hyper présent dans l’espace public. On peut le voir lors d'événements ou de rassemblements comme le festival Pukkelpop destiné à une population plutôt jeune, mais aussi, à des rassemblements destinés à son électorat traditionnel, plus âgé et conservateur. Le parti tente également de réhabiliter des signes nationalistes flamands comme notamment le drapeau jaune et noir. Pour ce faire, des distributions gratuites de drapeaux en public et des livraisons gratuites directement à domicile sont organisées. Cette présence se manifeste également en Flandre française, ce qui témoigne des intentions du parti de répandre leur idéologie. Le parti se veut accessible et approchable, en particulier auprès des jeunes peu politisés en proposant du contenu au langage simple et plein de raccourcis. Il organise notamment des rassemblements appelés “Schild en Pint” (Bouclier et Bière) inspirés directement du nom du groupe “Schild en Vriend” (Bouclier et Amis), mouvement de jeunesse ultra-nationaliste flamand, passage presque obligatoire pour les haut placés du parti. Ces rassemblements ont tous les traits d’un rassemblement banal de jeunes, mais ils sont en réalité des outils très puissants de propagation des idées de l’extrême droite. 

Le cordon sanitaire, gardien des valeurs de la démocratie belge ? 

Le cordon sanitaire est une pratique politique propre à la Belgique, qui, contrairement à ce que son nom renvoie, n’a rien à voir avec le Covid. Cette pratique vise à exclure les partis d'extrême droite de toute majorité politique. La Belgique est une monarchie constitutionnelle parlementaire, ce qui veut dire qu'une coalition entre plusieurs partis doit être formée afin de rendre la gouvernance du pays possible. Cette coalition est habituellement composée des partis traditionnels du centre, mais aussi de partis de gauche et, plus récemment, des partis écologistes flamand et wallon. Le cordon sanitaire permet de faire barrage à l'extrême droite et ses idées et il se révèle particulièrement important lors des élections. Cependant, la légitimité du cordon sanitaire est remise en cause depuis quelques années au motif qu’il serait antidémocratique et empêcherait l’expression de la volonté d’une part importante de la population flamande. Pour remédier à cela, des efforts de considération ont été faits par les responsables politiques belges sans pour autant donner droits aux revendications du Vlaams Belang. Cependant, certaines figures politiques ont été plus enclines à la collaboration comme Georges-Louis Bouchez, président du MR (Mouvement Réformateur), premier parti francophone de Belgique, usant du lexique linguistique de l'extrême droite et donnant du crédit à ces propos. Aussi, Bouchez accepte le débat public avec l'extrême droite : celui-ci a en effet débattu avec Tom Van Grieken sur la chaîne flamande VRT (Vlaamse Radio en Televisie). Jusqu’alors, dans la continuité du cordon sanitaire, les partis francophones avaient toujours refusé de s’abaisser à alimenter les discours identitaires de l'extrême droite. 


Que peut-on attendre des élections de juin 2024 ? 

En 2019, le Vlaams Belang avait réussi une percée historique avec un score de 19% des suffrages flamands, dont 30% étant attribué à la population de moins de 34 ans, selon un sondage IVOX. Avec la N-VA, le vote extrême droite représente en Flandre presque 70% des suffrages. On peut donc naturellement s’attendre au mieux à une stagnation des résultats, au pire, une seconde percée historique. Cependant, le parlementarisme fait que la probabilité que le premier ministre soit issu de ces partis est quasiment nulle. Malgré tout, le risque d’un basculement politique sans précédent n’est pas écarté. En effet, la N-VA pourra choisir de former une coalition avec les partis traditionnels flamands et francophones dans un objectif de stabilité politique, celle-ci ayant adouci son image et se rétractant du point de vue de l’indépendance flamande. Dans le cas contraire, une coalition N-VA - Vlaams Belang pourrait se révéler dangereuse pour la stabilité politique du pays ainsi que sa pérennité. Le Vlaams Belang a dores et déjà annoncé dans son programme électoral que peu importe les résultats des élections, les élus du parti mettaient en marche une dynamique d'autonomisation de la Flandre. 

Du point de vue sociologique, les écarts se creusent entre les opinions. D’une part, les nationalistes flamands se projettent dans une Flandre indépendante vidée de la population immigrée. D’autres part, une majorité de la population, cette fois belge, à la fois flamande et francophone, vit dans l’inquiétude de voir à son tour la Belgique soumise à l'extrême droite, à l’image de plusieurs pays européens comme l’Italie, la Suède, la Finlande ou encore plus récemment, les Pays-Bas. Ces derniers ont élu un gouvernement d'extrême droite mené par Geert Wilders. La proximité géographique, culturelle et linguistique rappelle les inquiétudes de normalisation de ces idées à l’échelle néerlandophone et pourrait potentiellement avoir une influence sur les prochaines élections fédérales. La montée de l'extrême droite est un problème diffus et non plus concentré dans les régions et pays, foyers traditionnels, des mouvements en Europe. Cela pose une série de questions politiques, juridiques, sociologiques, environnementales, migratoires et éthiques en Europe mais aussi, de stabilité sur le continent. 

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