L’intermittence du spectacle, liberté, égalité et durabilité ?
Au théâtre, les levers de rideaux cachent des mains de travailleur·euses. Cloé, technicienne du spectacle en intermittence, raconte les paradoxes de son statut et les défis propres au métier de technicien·ne. Un métier qui se féminise pas à pas au sein d’un secteur culturel exigeant bien qu’amputé de ses budgets.
Intermittente, un statut de paradoxe
Derrière chaque lever de rideau se cache un travail de réglage et d’agencement des décors comme de la lumière. À 22 ans, Cloé a décroché son diplôme de technicienne de spectacle, « plateau et lumière », depuis 2 ans. Elle est intermittente, un statut particulier qui concerne notamment les métiers du spectacle et présente des caractéristiques spécifiques. D’une part, l’intermittence suppose que Cloé n’a pas d’emploi fixe, elle change de ce fait régulièrement d’employeur·euses. Le contrat qui régit ce statut est le « Contrat à Durée Déterminée d’Usage », aussi abrégé CDDU. Il est garant d’aides financières mensuelles de France Travail, ce qui différencie amplement l’intermittence de l’intérim, et tente de pallier l’incertitude liée au changement d’employeur·euses.
D’autre part, le statut d’intermittente ne s’obtient que sous la condition d’un minimum de 507 heures de travail annuelles contractualisées, additionnées de postes en postes. Dans un contexte d’absence de « contrat longue durée, sécurisant », précise Cloé, et de changement constant d’organisme, ce prérequis suppose une certaine pression à trouver du travail. Si elle confie la difficulté d’attester des 507 heures au sein de certains domaines, le propos de Cloé est nuancé puisque « dans d’autres, elles sont largement attendues ». De l’enthousiasme : en tant qu'intermittente du spectacle, c’est ce qu’elle ressent vis-à-vis de son statut, malgré l’image d’instabilité qui y est souvent attribuée : « J’adore le fait de ne pas avoir de programme fixe », ce qui lui allègue la liberté de gérer son emploi du temps, « d’aménager et créer » son quotidien. L’aménagement, les intermittent·es en sont familier·ères puisque leurs horaires peuvent être « à l’inverse de la majorité de la population », comme la nécessité de travailler les week-end, période préconisée pour le déroulé des spectacles.
En intermittence, la durée limitée des emplois sous-entend une multiplicité d’employeur·euses. A cela s’ajoute l’exigence du nombre d'heures annuel pour l’obtention du statut, sans lequel les aides monétaires mensuelles ne sont pas délivrées. Mais Cloé fait part d’un paradoxe de l’intermittence. Aux contrats de courtes durées perçus comme précaires, le statut permet une sensation de liberté trouvée dans le choix des structures, des lieux et du rythme de travail, lorsque c’est possible.
La féminisation des métiers de la technique, la promesse d’une égalité professionnelle entre femmes et hommes ?
Secteur qui, dit-on, employait beaucoup de marins, la parité n’est pas gagnée dans les métiers de la technique du spectacle. Mais les femmes y sont de plus en plus nombreuses, confirme Cloé, et « très appréciées dans la majorité des lieux », la parité étant davantage un critère de sélection à l’emploi. Si elle s’estime chanceuse de n’avoir jamais eu de mauvaise expérience en raison de son genre, elle « ne passe jamais inaperçue » et déclare « échapper difficilement » à la taquinerie. Elle partage le plaisir de travailler opportunément avec d’autres femmes ce qui n’est pas sans lien avec la misogynie du secteur.
A cela s’ajoute la pression à performer physiquement dans un domaine où la manutention est quotidienne. La peur de l’échec a alimenté et alimente le plafond de verre pour les femmes. Un phénomène sociologique très genré qui désigne la barrière systémique chez certaines catégories de personnes, notamment minoritaires (femmes, personnes racisées, femmes et personnes racisées etc.), à envisager l’accès à certains postes malgré les critères et compétences acquises. En d’autres termes, l’omniprésence d’hommes aux postes stratégiques peut alimenter une sensation d’illégitimité professionnelle chez les femmes.
Dorénavant, Cloé a appris à privilégier le rythme physique qui lui convient et signale lorsqu’elle appréhende de porter une charge lourde. De l’entraide, c’est « ce qui fait que je me sens en confiance avec mes équipes ». Le rideau se lève et nul·le ne peut plus ignorer tout le travail qu’il y a eu dans l’ombre. À l’heure où le secteur de la culture est maltraité, la durabilité des métiers de la technique passe autant par leur féminisation que par leur survie.
Marine Fourest