La Fête de l’Humanité sous le feu des critiques pour avoir maintenu des artistes accusés de violences sexuelles
Tandis que les festivals sont incités à lutter contre les violences sexistes et sexuelles, notamment via des “safe space” (stands consacrés aux personnes marginalisées, notamment aux femmes) , la fête de l'Humanité a été visée par un post Instagram largement relayé ce 10 septembre pour avoir programmé des artistes accusés pour ce type de faits. Pour sa 90ème édition, l'événement organisé par le journal l’Humanité se tenant ce week-end a affiché complet et accueilli jusqu’à 110 000 visiteurs par jour.
« Fête de l’Humanité, Fête des agresseurs » : c’est ainsi que le compte Instagram @militanthémis, tenu par l’étudiante en droit Sirine Sehil, a pointé le festival se tenant du 12 au 14 septembre.
Le 10 septembre, la publication a pris la forme d’un appel conjoint entre Sirine Sehil et quatre autres comptes féministes suivis par plusieurs milliers de personnes (@metoomedia_ , @stopfisha, @mavoixmonchoixorg, @surviv_hante).
L'appel vise quatre rappeurs : Zamdane, TIF, Kalash et Vicelow, mis en cause par des témoignages et dans le cadre d’affaires judiciaires. Un avertissement mettant le feu au poudre, notamment par la portée politique de l'événement revendiquant comme chaque année des valeurs de gauche portées par son organisateur, le journal l'Humanité.
Vicelow, Kalash, TIF et Zamdane mis en cause
Comptant à ce jour plus de 27000 « j’aime », le post affirme que Vicelow a été condamné par la justice pour violences conjugales envers son ex-femme, et qu’il aurait également « fait l’objet de plusieurs dénonciations de danseuses pour harcèlement et agression sexuelle ».
Concernant Kalash, la publication revient sur le livre de son ex-compagne et mère de ses enfants Ingrid Littré – Sa vérité, relatant des violences conjugales. Le rappeur avait, en réaction, porté plainte pour diffamation.
Quant à TIF , il aurait été accusé de viol et agression sexuelle dans des Tweets supprimés depuis, les militantes déclarant qu’il « aurait apparemment fait pression sur ses victimes ».
Zamdane, pour sa part, est pointé pour banalisation du viol dans plusieurs Tweets également supprimés depuis des dénonciations pour violences sexuelles à son encontre, notamment : « c’est pas du viol si elle dort ».
En commentaires, la publication fait débat : de nombreux·se·s internautes soutiennent et s’indignent, d’autres s’interrogent sur le fait que les artistes mis en cause soient uniquement des rappeurs et personnes racisées, ce à quoi les comptes à son initiative répondent être des « femmes racisées queer » également engagées sur ce sujet.
« Déjà l’année dernière, nous avons bataillé pour faire retirer le concert de Heuss l’Enfoiré », déclarent-elles, ajoutant que le festival « les ignorait ».
"Silence radio" du côté de la direction de l'organisation du festival
Cette année encore, « silence radio » du côté de la fête de l’Humanité, relève @stopfisha : "Nous avons tout essayé pour discuter avec la directrice, sans résultat". Les autrices de la publication déclarent avoir contacté l’un des organisateurs à propos de Vicelow dès le 10 juin, ce dernier disant « se renseigner », mais n’étant jamais revenu vers elles : « 3 mois après, il ne l'a pas fait ».
Néanmoins "la rédaction du journal l'Humanité a été avec nous", indique Hajar, co-gérante du compte @stopfisha. " Ils nous ont accordé du temps, on leur a apporté les preuves et ils en ont été horrifiés. Cela fait six mois que des personnes du festival essaient de faire déprogrammer des artistes, mais la direction ne donne pas suite". “ C’est pratique d’avoir des associations féministes sur place lorsqu’elles paient les stands, mais pas lorsqu’il s’agit de mettre la main au portefeuille et d’agir” dénonce-t-elle.
Sur place, « plusieurs militantes féministes ont décidé de mener des actions », notamment « concernant le concert de Kalash, qui n’a pas été déprogrammé », indique encore la militante.
Contactée concernant la publication, l’organisation du festival n’a pas donné suite.
« On sait pertinemment que c’est des agresseurs » : la déception des festivaliers
Au-delà des réseaux, cette alerte interpelle les festivalier·ère·s se rendant actuellement sur le site de Brétigny-sur-Orge et du Plessis-Pâté pour assister à l'événement. Nombreux·se·s sont celleux l’ayant découvert tardivement . Pour Inès, 25 ans, le déclencheur a été la raillerie d’un ami : « je n’ai pas compris pourquoi il nous disait qu’on faisait partie de la gauche « deux poids, deux mesures » car je n’en avais pas pris connaissance, c’est là qu’il nous a montré le post ».
Maintenant qu’elle a sa place, Inès s’y rend mais ne cache pas son exaspération quant à la scission entre les « valeurs de gauche » représentées par cet évènement, et le fait que le festival « invite des mecs dont on sait pertinemment que c’est des agresseurs ». La jeune femme pointe particulièrement Kalash, ne connaissant pas les autres artistes mais soulignant qu’elle avait « eu des échos » concernant les affaires impliquant cet artiste.
« Il est hors de question que je mette les pieds à leurs concerts », souligne t-elle tout en regrettant que ce problème concerne de nombreux festivals : « on entend parler de plus en plus de festivals qui programment des agresseurs, mais habituellement c’est fait un peu en amont et le festival est exposé et contraint de régler ce problème ».
« Ce n’est pas la première fois qu’un festival est accusé de programmer des artistes qui font l’objet de ce genre d’accusations. J’ai l’impression que c’est un peu banal de les programmer malgré tout », la rejoint Anna, 23 ans. La jeune femme se rend à cet événement pour la première fois, découvrant que sa portée dépasse le simple festival de musique : « j’ai réalisé à quel point sa dimension politique était forte, notamment avec tous les stands des sections du PCF », « c’est vrai qu’un festival avec une dimension politique aussi forte devrait être exemplaire sur la programmation des artistes » conclue-t-elle.
« J’ai été surpris et j’ai ressenti une certaine déception », explique quant à lui Lucas, 25 ans, dont cet événement « ne change pas l'idée globale du festival » mais regrette un « manque de rigueur » dans l’organisation : « beaucoup d’autres artistes auraient pu être choisis, pour les faire monter, plutôt que des agresseurs ».
Quelles répercussions sur le festival ?
Le concert de TIF a été annulé et remplacé par un concert « en solidarité avec le peuple Palestinien », l’artiste ayant annoncé le 8 septembre « qu’il ne serait finalement pas présent à la fête de l’Humanité », comme l’explique une publication du festival, sans en avancer les raisons. Les trois autres rappeurs n'ont pour leur part pas été déprogrammés.
Sur place, Zamdane s’est exprimé sur ses accusations au début de son concert, déclarant qu’il regrettait ses tweets et exprimant « force et soutien pour toutes les victimes de violences sexistes et sexuelles ». Le rappeur a également annoncé porter plainte pour diffamation sur Instagram le vendredi 12 septembre.
En parallèle, des internautes continuent à interpeller le festival sous chacune de ses publications Instagram : "Kalash est un mec qui a battu son ex, [...] vicelow a été condamné par la justice", "Pourquoi autant d'agresseurs en tête d'affiche?”
Pour le moment, pas de réponses du festival concernant ce sujet, mais beaucoup espèrent une prise en compte de ces critiques pour l'an prochain.