Les baptêmes Belges : entre tradition et dérives

En France, le bizutage est désormais une pratique qui peut être punie de 6 mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende. En Belgique toutefois, il prend la forme d'un “baptême” comme expérience fondatrice de la communauté étudiante belge.

Nous avons au cours de notre enquête récolté les témoignages de trois étudiants d’une université bruxelloise sur leur expérience de baptême. 

 

Le baptême, un bizutage institutionnalisé.

 

La vie universitaire belge est depuis le XIXème siècle rythmée par le « folklore », ensemble de traditions festives du milieu étudiant, entretenu par des cercles dits « folkloriques ». Chaque faculté a son cercle. L’intégration à ces cercles se fait par le baptême, une sorte de bizutage institutionnalisé, et surtout légal. 

 

Les baptêmes sont des pratiques courantes dans toute la Belgique et datent de l’indépendance de celle-ci en 1830. Les cercles ont été initialement créés pour que les étudiants protègent la ville des vols. Des gardes de nuit étaient alors organisées, mais les cercles sont vite devenus la cible de fauteurs de troubles. Pour pallier ce problème, les baptêmes ont été inventés afin de tester la loyauté des futurs membres des cercles. 

Cette tradition a commencé dans les trois premières villes universitaires de Belgique : Louvain, Liège et Gand. A Bruxelles, l’histoire et la résonance culturelle des baptêmes est différente. Au XIXè et début XXè, une grande partie de la haute bourgeoisie Bruxelloise était franc maçonne. Les francs-maçons voulurent ouvrir en 1834 une université libérale pour la capitale, aujourd’hui nommée Université Libre de Bruxelles (ULB). Les premiers étudiants étaient de ce fait des enfants de francs-maçons, qui auraient utilisé l’ancienne tradition des baptêmes pour recréer l’entre soi de leurs pères. Aujourd’hui, ce mythe persiste de manière anecdotique. La réalité est un peu plus complexe : lorsque l’enseignement n’était accessible qu’à la bourgeoisie, l’université était une “pause” pour les jeunes bourgeois avant une vie professionnelle toute tracée, un moment de répit. Les cercles étaient un bon refuge pour faire la fête et perpétuer des traditions nationales. Au fil du temps, l’enseignement s’est démocratisé et l’entre soi franc maçonnique et bourgeois est passé au second plan pour laisser place aux traditions de la toute jeune Belgique. Aujourd’hui, les baptêmes restent mal vu par la classe ouvrière, car ils sont coûteux (assurance, starter pack et accessoires à payer lors des activités coûtent entre 250 et 300 euros) et prenants. Il est commun que les bleu.es (nom de ceux que l’on baptise) ratent leur première session d’examen, au risque de payer une autre année d’étude. Or, redoubler une année est un luxe que tout le monde ne peut s’offrir.

 Le baptême est une tradition nationale chez les flamands et les francophones, mais diffère selon les universités et les cercles. Certains ont la réputation d’être plus difficiles que d’autres, on y entre en connaissance de cause. Les baptêmes ne sont en effet pas une porte d’entrée obligatoire pour participer à la vie folklorique. Toutefois, au début de l’année chaque cercle peut faire sa promotion lors d’un cours en amphithéatre – de ce fait le baptême est intégré et légitimé par l’institution. Il est au centre des discussions entre étudiants. Cette omniprésence dans la vie étudiante et festive, couplée à un effet d'entraînement dans les groupes d’amis attire de nombreux étudiants.

 Une fois le baptême commencé, on nomme le futur baptisé « bleu » et l’ensemble des dix activités de baptême « bleusailles ». Elles durent un mois et demi environ. Un an après la fin du baptême, les bleus seront renommés « poils, plumes, écailles ». Ils seront dotés d’une « penne », une sorte de casquette traditionnelle au folklore. Cet accessoire a une forte valeur symbolique tant il engendre l’admiration et témoigne activement de la cohésion à un cercle. Signe d'avoir survécu  au baptême, la penne installe une frontière symbolique entre les étudiants. Les anciens baptisés les plus impliqués dans leurs cercles sont appelés « comitards », reconnaissables à leur longue toge ils dirigent et organisent les baptêmes. Tout cet équipement fait partie de la tradition et de la fierté du baptême. Portées à chaque soirée, les pennes et les toges sont des objets de grande valeur.

Aujourd'hui, la plupart des étudiants se baptisent car c’est dans la tradition belge. Sarah* témoigne avoir fait son baptême parce que c’était “l’expérience de la Belgique”. Il apparaît comme un important rite de passage à l’université, marquant une rupture avec l’enseignement secondaire. « Je ne me suis jamais vraiment posé la question de pourquoi je voulais me faire baptiser, pour les bruxellois le baptême est un peu une suite logique quand on entre à l’ULB » dit Louis.

 

 L’intégration mais à quel prix ?

 

Le baptême est une opportunité pour une majorité de jeunes étudiants pour faciliter leur rencontre avec d’autres jeunes. Y participer peut répondre à un désir d’appartenance à une communauté qui apparaîtra comme un repère aux étudiants tout au long de leur scolarité. « Avant toute chose, le baptême est un moyen de se faire des amis. Au bout d’un mois j’aurais pu me prendre une balle pour eux. Tu vis des trucs tellement fous avec eux qu’ils deviennent comme une deuxième famille » raconte Louis. Les baptêmes sont un moyen de se tisser des amitiés solides, mais certains aspects sont critiquables. 

 

La plupart des étudiants idéalisent le baptême qu’ils considèrent comme un rite de passage obligatoire pour se faire intégrer. Cet « effet baptême » est révélateur du dévouement des étudiants qui sont prêts à sacrifier leur dignité au profit du seul statut de « baptisé ». Lors de son témoignage, Manon parle de sa fascination pour les toges et les pennes des comitards qui l’ont motivé à poursuivre son baptême. Elle témoigne d’une attirance physique fréquente pour les comitards. « Quand j’étais bleu j’avais beaucoup d’admiration pour les toges. On parle au sein des cercles de « l’effet toge », le fait d’avoir un crush sur un comitard. On en rigole, c'est un sujet léger. » Mais cette admiration soulève le problème de la domination au sein même du baptême induit par un rapport de force. « Je comprends les débordements qu’il y a eu dans le folklore parce que le rapport de force est réel, ce n’est pas une blague », « C’est quelque chose auquel il faut faire très attention. (…) J’ai déjà entendu des histoires vraiment scandaleuses. » nous confient Manon et Louis. La tradition veut que les nouveaux venus soient interdits de regarder les comitards dans les yeux pendant toute la durée du baptême. Cette règle est si fondamentale qu’elle en vient à sortir du cadre des activités festives pour se poursuivre dans la vie de tous et même sur les réseaux sociaux. En effet, tout au long de la période du baptême, les yeux des comitards sont masqués par un bandeau noir sur leur photo de profil Facebook. 

 

Une hiérarchie organisée est également visible au sein de la communauté folklorique. En effet, chaque comitard encadre un groupe de bleus qui lui sera soumis pendant la durée du baptême. Les activités auxquelles les bleus participent sont éprouvantes physiquement et mentalement. Leur difficulté augmente au fur et à mesure du temps. Sarah témoigne avoir voulu arrêter l’expérience à plusieurs reprises « On nous gueule dessus, on mange de la merde, on se met nu ».  Elle raconte également que figurait sur son t-shirt de bleusaille l’inscription « endoctrinement progressif ». Cette devise résume selon elle l’expérience « Au fur et à mesure, on est tellement endoctrinés que c’était devenu logique de dire oui à toutes les demandes ». C’est dans cette logique que les étudiants sont amenés à accepter de se soumettre de leur plein gré à des activités souvent humiliantes, voire parfois indécentes.  Il n’est pas rare qu’ils soient arrosés d’eau gelée, aspergés de nourritures, mâchent des cailloux ou parcourent l’université à quatre-pattes. Dans l’imaginaire collectif, avoir validé toutes les activités apparaît comme une fierté et témoigne d’un courage. Manon raconte que le baptême est pour certains un accomplissement « pour se prouver qu’ils sont capables ». Si les épreuves varient d’un cercle à l’autre et d’une faculté à l’autre, une règle demeure : celle de ne pas communiquer leur déroulement aux non-baptisés. Sarah insiste sur la nécessité de conserver un esprit critique et une certaine prise de recul car le baptême n’est au final qu’un jeu de rôle.  «Ils incarnent un rôle et c’est important de le souligner au sein du grand jeu qu’est le baptême».

 

Le baptême est depuis quelques années de plus en plus critiqué au sein de la communauté étudiante. Le nombre de baptêmes est en baisse chaque année et inquiète la communauté folklorique. « On a eu des réunions de cercles sur est ce que le folklore se meurt et comment empêcher cela. Si les cercles veulent conserver la tradition, il faut aussi accepter aussi que la société évolue et que de moins en moins de personnes sont d’accord avec leurs idées. » raconte Manon.  Certaines dérives et expériences traumatisantes qui avaient lieu lors des bleusailles relayées par les médias belges ont permis une prise de conscience dans la communauté folklorique. C’est notamment le cas du compte Instagram #Balance ton folklore créé en 2021 d’une initiative étudiante de l’Université Libre de Bruxelles. Ce compte avait pour but de dénoncer et libérer la parole autour des violences sexistes et sexuelles au cœur de la vie folklorique. Ce mouvement a permis une révision des activités de baptêmes qui sont aujourd’hui moins violentes que celles des années précédentes. « Au moment de balance ton folklore, beaucoup de comitards se sont fait détoger, le cercle a complètement changé » explique Manon. Les actions des comitards sur les baptisés sont dorénavant réglementées et peuvent être sanctionnées. Un accent fort a été porté sur la notion de consentement. « On a des briefings qui nous répètent chaque semaine qu’on ne peut pas leur parler (aux bleus), les toucher, qu’il est interdit de se retrouver seul avec un ou une bleu » déclare Manon qui encadre aujourd’hui les baptêmes. Chaque bleu est libre d’arrêter quand il le souhaite l’expérience et de refuser de participer à certaines activités. 

Les bleus qui souhaitent à leur tour devenir comitard devront prouver leur valeur et leur loyauté auprès des cercles pour espérer être élu par les comitards actuels, afin de perpétuer la tradition. 


*les prénoms des étudiants témoignant ont été changés pour conserver leur anonymat


> sources 

https://www.metrotime.be/fr/belgique/bapteme-etudiant-des-origines-aujourdhui-les-baptemes-sont-mieux-encadres-et-controles

 

https://www.parismatch.be/actualites/societe/2017/12/13/immersion-dans-lunivers-mysterieux-des-ordres-secrets-de-lulb-BETNZZANINGD3CZB2PPYDUR2LI/

 

https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-sociale-2015-3-page-493.htm#:~:text=Les%20rites%20dans%20le%20%C2%AB%20folklore,sont%20souvent%20point%C3%A9s%20du%20doigt.

 

https://www.rtbf.be/article/bizutage-et-bapteme-les-rites-universitaires-vus-de-france-et-de-belgique-10015112

 

https://www.lavenir.net/regions/2021/12/02/balance-ton-folklore-denonce-les-agressions-sexuelles-a-lulb-on-peut-lire-jusqua-quatre-recits-de-viol-par-jour-JMHKI6ZUBJGJPFK6YTM7IKOAN4/

 

https://www.ulb.be/fr/l-universite/folklore-et-cercles-etudiants

 

 



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