De l’élégance au confort : l’évolution des standards de la mode sportive

Mettre en avant la fusion entre les sphères du sport et de la mode qui, de prime abord, semblent assez éloignées, voilà l’objectif de l’exposition « Mode et sport, d’un podium à l’autre » présentée actuellement au musée des Arts décoratifs de Paris (du 20 septembre 2023 au 7 avril 2024). L’occasion, donc, à quelques mois des JO de Paris 2024, de comprendre en quoi le rapprochement entre mode et sport a joué un rôle déterminant dans l’évolution des mœurs. Ce lien entre mode et sport est en effet d’autant plus intéressant que leur évolution respective a joué un rôle crucial dans l’émancipation féminine : alors que baskets, joggings, sweatshirts et casquettes font désormais partie des tenues quotidiennes aussi bien féminines que masculines, les femmes du XIXe siècle, elles, jouaient au tennis en corsage, jupe et talons !


Débuts sportifs à nu : zoom sur la période antique 


Dans l’imaginaire collectif, les débuts du sport sont associés aux premiers jeux de la Grèce antique. Et pour cause, ils sont la première forme d’efforts physiques encadrés par des règles officielles. L’image qui persiste aujourd’hui est celle de l’homme grec musclé, hâlé au corps huilé et nu, libéré de toute contrainte vestimentaire. C’est d’ailleurs la signification du terme « gymnos » (nu) qui a donné celui de gymnastique » en français. Néanmoins, malgré cette apparition précoce du sport, le mot « sport » venant de « desport » (le divertissement) n'apparaît lui, qu’au XIXe siècle.  

 

La symbolique de la mode chevaleresque 

            

À l'époque médiévale, les combats à cheval sont très prisés et les vêtements des tournoyeurs servent à signifier l'appartenance à un seigneur, une équipe ou une famille, selon les règles de l'héraldique (étude des blasons). Cette appartenance est donc symbolisée par des armoiries aux symboles et couleurs propres, qui peuvent être peintes, appliquées, ou encore brodées de fils précieux. Grâce à ces vêtements et armoiries colorés, le tournoyeur, dont le visage est caché par son casque, peut être facilement reconnaissable par les spectateurs. Aussi, c’est de ces tournois qu’est née une expression liée au domaine du sport : quand un chevalier, qui combattait en l’honneur de sa dame, ressortait vainqueur du tournoi, cette dame lui faisait cadeau de la manche de son vêtement, détachable par de petits laçages appelés aiguillettes : il « remportait une manche ». Par ailleurs, le football et le rugby, nés dans les universités anglaises du XIXe siècle adoptent eux aussi les blasons et les couleurs de maillots. Malgré une production encore approximative et artisanale (les maillots d’une même équipe sont imparfaitement ressemblants), il y a une identité collective qui se crée dans le sport, et ce, grâce à la mode. 

 

L’élégance avant la performance 

 

Certains sports étant très prisés par la bourgeoisie au XIXe siècle, l’élégance est restée très prioritaire sur la performance qui n’était pas considérée comme un enjeu, au vu du contexte d’entre-soi. La distinction sociale prenait le pas sur la performance. Les concepts de compétition et de prouesse sportive n’étant pas au rendez-vous, c’est à peine si les tenues sportives se différenciaient des tenues du quotidien de la classe bourgeoise. En effet, les hommes se contentaient de se défaire de leur veste et de retrousser leurs manches et les femmes se contentaient de porter des robes très légèrement raccourcies.

Image gauche = Ensemble de tennis dont la robe a été raccourcie pour la pratique du sport


Image droite = Corset ruban de sport (Vers 1905) (Durant la belle époque, il n’était pas question d’abandonner le corset pas même pour le sport. Ce corset dit « de sport » est donc simplement plus souple qu’un corset classique.)

Les femmes sportives : une émancipation critiquée         

 

L’apparition du cyclisme (permise par l’invention du vélocipède dans les années 1860) poussent les femmes à trouver un compromis entre règles de bienséance et pratique du sport. C’est alors qu’apparaissent les fameuses jupes-culottes ou « bloomers » (du nom d’Amelia Bloomer, première femme à porter un pantalon sous sa jupe avant d’enfourcher son vélo). L’idée est de pouvoir se mouvoir aisément tout en respectant les normes vestimentaires, le pantalon n’étant pas encore acceptable pour les femmes de l’époque. Cette jupe-culotte est le sujet de nombreuses controverses et critiques publiées dans les revues de mode. De plus, le football féminin, après ses débuts en Grande-Bretagne au XIXe siècle, connaît un âge d'or après la Première Guerre mondiale. En France, un premier championnat féminin a lieu en 1918. Leur tenue s'inspire alors de celle de leurs homologues masculins, avec des maillots épais et des shorts. Les nombreuses critiques qui émergent soulignent cette masculinisation, ainsi que « l'impudeur » de tels vêtements.

   

Place à la performance : les premiers vêtements de sport 

            

La professionnalisation progressive du sport accentue la recherche d’équipements performants. A partir des années 1920-1930, les vêtements de sport à proprement parler font leur apparition.  De plus, le sport devient « à la mode » en particulier au sein de la jeunesse. Les grands couturiers qui observent de près cette nouvelle mode, créent le concept du « sportswear » (terme qui apparaît en France en 1928). Puis à partir des années 1950, la pratique du sport se démocratise à grande échelle, si bien qu’on observe une plus grande décontraction dans le vêtement. Une véritable révolution s’opère : il ne s’agit plus seulement de porter des vêtements de sport pour pratiquer une activité sportive mais de les porter de façon quotidienne, pour être décontracté. Dans les années 1980, joggings et baskets deviennent les indispensables du vestiaire de la jeunesse.

C’est ainsi que naît une relation fusionnelle entre le sport et la mode : des sportifs deviennent stylistes (comme René Lacoste, tennisman fondateur de la marque Lacoste), des stylistes habillent des délégations sportives (comme Stéphane Ashpool qui a récemment été nommé directeur artistique pour les tenues des Bleus aux Jeux Olympiques de Paris, aussi bien pour les tenues de représentation que pour les tenues de compétition et d’entraînement) et des collaborations entre marques sportives et marque de luxe voient le jour un peu plus tardivement, à partir des années 1990.

Ainsi, l’exposition “mode et sport d’un podium à l’autre” offre une rétrospective sur l’évolution des standards de la mode sportive de la Grèce antique aux tendances contemporaines. Cette liaison a été témoin de changements sociaux, notamment dans l'émancipation féminine. Les vêtements de sport ne sont plus seulement fonctionnels mais jouent un rôle majeur dans la création d’identités collectives, tout en reflétant les valeurs de chaque époque. 

Néanmoins, cette évolution soulève un enjeu majeur : la fusion entre la mode et le sport, souvent incarnée par des marques de luxe, peut créer des barrières économiques. En effet, des marques sportives, du fait de nombreuses collaborations avec des marques de luxe, peuvent devenir inaccessibles pour une partie des consommateurs, ce qui creuse les disparités socio-économiques. Ainsi, alors que d’une part, la mode sportive évolue en tant que vecteur d'expression culturelle et sociale, elle crée également d’autre part, des problèmes liés à l’inclusivité et à l'accessibilité, soulignant le besoin d’une réflexion plus approfondie sur la démocratisation de cette fusion entre la mode et le sport.


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