Le documentaire "La Combattante" : l'entraide à travers les frontières

Marie-José TUBIANA, ethnologue à la retraite, et Camille PONSIN, réalisateur, ont partagé leurs compétences pour produire le documentaire "La Combattante" qui sort en salle le 5 octobre. En mêlant l'éloge d'une vie à la rencontre d'autrui et la mise en lumière des populations du Darfour, Camille PONSIN raconte en images le travail de Marie-José TUBIANA. Agée de 92 ans, elle authentifie les récits des victimes du conflit du Darfour pour appuyer leur demande d'asile en France.

Affiche du documentaire “La Combattante”

Un point commun entre deux amis : la volonté de découvrir l'autre

Je suis entrée dans le huis clos central du documentaire qu'est l'appartement de Marie-José TUBIANA (M.J.T.), "quelque part sous les toits de Paris" comme le précisent les premières minutes du film. Souvenirs de voyages en Afrique dans l'entrée, tapis au sol, et livres abondants sur les étagères, le réalisateur y a vu une véritable "scène de théâtre". Installés sur les chaises qui ont reçu les témoignages de plus de 300 réfugiés du Darfour, nous voici dans le "salon-monde" comme aime à l'appeler Camille PONSIN (C.P.). 

C'est l'histoire d'une "rencontre avec autrui" (C.P.) qui est racontée à travers ces murs que rapporte le documentaire. 

Ce sont d'abord les multiples rencontres que Marie-José a effectuées pendant ses voyages au Tchad et au Soudan (à partir de 1956) qui sont représentées dans le film. Le réalisateur décrit ce temps comme celui où "c'était Marie-José qui allait vers le monde". Marie-José TUBIANA est une ancienne directrice de recherche du CNRS, spécialiste des régions du Tchad et du Soudan et particulièrement du peuple Zaghawa. Elle est allée au Darfour pour la première fois en 1965 avec son mari, chercheur spécialiste de l'Ethiopie.  

Ce sont également les rencontres que Camille PONSIN a faites à Calais pendant l'été 2015 qui ont initié ce documentaire. Il s'y est rendu, non en tant que réalisateur, mais simplement pour aider sur le terrain et comprendre la situation depuis l'intérieur. "J'ai rencontré des Syriens, des Afghans, des Erythréens et des Soudanais. J'ai écouté tout le monde mais j'ai été particulièrement touché par les récits des réfugiés du Darfour", raconte-t-il. "D'autre part, j'ai été très ému par la pudeur des réfugiés du Darfour. [...] Ils ne se plaignaient pas." Après avoir hébergé durant une année un réfugié du Darfour ayant subi un grave accident, il a "eu envie d'en savoir plus sur la personne qui était chez [lui]". C'est en faisant des recherches sur l'histoire du Darfour que Camille PONSIN a croisé le chemin de Marie-José TUBIANA, à travers ses nombreuses publications sur le sujet. De fil en aiguille, le projet de tournage s'est affiné et les premières séquences ont été filmées en 2016. Le réalisateur raconte que, lors des entrevues entre l'ethnologue et les réfugiés, dans son appartement, "toute l'histoire [du Darfour] se donnait devant moi".

"J'ai rencontré des Syriens, des Afghans, des Erythréens et des Soudanais. J'ai écouté tout le monde mais j'ai été particulièrement touché par les récits des réfugiés du Darfour." Camille PONSIN

Le Darfour est une région à l'est du Soudan, frontalière avec le Tchad, qui contient de multiples populations différentes. Lors des enquêtes de terrain de Marie-José, le conflit qui sévit actuellement dans cette région n'avait pas encore éclaté. En effet, les premiers massacres des milices soudanaises envers les populations africaines ont eu lieu en 2003. Des signes avant-coureurs étaient sans doute déjà présents, dus à la sécheresse dans le nord du pays. "Il y avait une méfiance, parce que les gens qui souffraient de cette péjoration climatique descendaient vers le sud. Mais ils ne voulaient pas abandonner complètement leur village, donc certains restaient sur place," explique la spécialiste. 

Un documentaire sur l'avant / après Darfour


Les multiples ouvrages, cartes, enregistrements sonores et bobines de vidéo en 16mm de l'ethnologue ont représenté un fonds documentaire important pour le réalisateur. L'ethnologue a vécu le "Darfour luxuriant" : elle "voulait aller prendre sa retraite à Bakaoré" (au Tchad) d'après Camille. Ces archives sont mises en comparaison avec les témoignages récents des réfugiés et les images de presse ou de propagande du conflit actuel. C'est "l'histoire d'une disparition" (C.P.) culturelle et civilisationnelle, en plus d'être l'histoire d'un partage.

Marie-José TUBIANA, prise de vue par Camille PONSIN ©documentaire “La Combattante”

"Avant, c'était Marie-José qui allait au monde. [Maintenant,] c'est le monde qui vient à Marie-José," analyse Camille PONSIN. Après trente ans d'enquêtes, Marie-José TUBIANA est en capacité de certifier les récits des réfugiés du Darfour. Cela permet à leurs avocats de faire appel suite au refus de la demande d'asile en France. Pendant deux ou trois entretiens, elle écoute attentivement les témoignages en demandant aux réfugiés de lui raconter leur histoire en détail (les lieux, les dates, les faits). Le plus important est d'avoir "une certaine qualité d'écoute" explique l’ethnologue : "Je ne pose pas de questions, je laisse parler. Mais si, quand je pose une question, il me raconte une autre histoire tout à fait à côté et qu'elle rentre dans le cadre, et bah tant mieux." Suite à ce travail de vérification, elle fournit un rapport de trois à quatre pages à destination des juridictions françaises (l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile). "J'essaie d'être le plus convaincante possible", dit-elle. La conclusion selon Marie-José TUBIANA est qu' "il faut prendre son temps" : c'est "un film aussi sur la patience" précise le réalisateur.

Juste avant l'été 2022, Marie-José TUBIANA a rencontré de nouveaux réfugiés alors qu'elle était en maison de repos à Paris. Camille PONSIN en rigole : "Tous les ans, elle me dit "J'arrête"". "Il y a un âge où il faut arrêter" réplique-t-elle, l'efficacité est pour elle le seul critère : il ne faut pas faire d'erreur professionnelle.

"Je ne me sens ni blanche, ni noire ; je me sens amie,” dit-elle, mais peut-on cesser d'être un ami ?

"La Combattante" sort en salle de cinéma le 5 octobre. Il est programmé au MK2 Beaubourg, aux 3 Luxembourg, ainsi que dans une quinzaine de salles en province.

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