Femme, Vie et Liberté : 43 ans de meurtres en série en Iran


En 1971, le banquet pantagruélique commandité par le shah d'Iran, qualifié de « plus long et le plus somptueux banquet de l'histoire moderne», faisait la Une des quotidiens internationaux avec son faste et ses statistiques renversantes (18 tonnes de victuailles, 25.000 bouteilles de vin, une table de cent mètres de longueur garnie d'une nappe d'un seul tenant). Depuis, la dynastie Pahlavi n’est plus et l’Iran est devenu une république islamique faisant face à une jeunesse urbaine avide de libertés.

Le vendredi 16 septembre 2022, Mahsa Amini, une jeune femme iranienne, est allée à Téhéran pour profiter des charmes et de l’animation de la capitale de l’Iran. Elle était loin d'imaginer le scénario qui allait se dérouler presque à son insu. Mahsa ne portait pas le hijab de la manière appropriée telle que l’exigent les autorités iraniennes, tout comme la plupart des Iraniennes depuis quelque temps déjà. Lors de sa visite, elle a été arrêtée par la police des mœurs avant d'être incarcérée au centre de détention de Vozara, où elle reçoit plusieurs coups sur la tête, la faisant tomber dans un état de coma. Trois jours après, elle s'éteignit à l'hôpital, les autorités assurant alors qu’elle n’était victime que d’une crise cardiaque.

C'est peu après la révolution islamique de 1979 que le port du hijab est devenu obligatoire pour les femmes iraniennes. Un certain nombre de femmes ont alors immédiatement protesté contre cette loi mais n'ont pas réussi à la changer. L'obligation du hijab a toujours été controversée en Iran mais il n'y a jamais eu de vague de protestation unie et organisée contre le hijab comme celle que l’on peut observer aujourd'hui.
La police affirme que Mahsa Amini a « soudainement souffert d’un problème cardiaque et a été immédiatement transportée à l’hôpital », où elle est morte après trois jours de coma, sans qu'il y ait eu auparavant de « contact physique » entre les agents et la victime. Toutefois, cette version est remise en cause par de nombreux témoins, qui accusent la police de mauvais traitements ayant entraîné la mort de la jeune femme. Sa mort a attisé la colère dormante de nombreux Iraniens, hommes et femmes, qui étaient déjà très mécontents du régime dictatorial mis en place par la République islamique.

Les manifestations ont commencé dans sa ville natale : les habitants de Saqqez sont descendus dans la rue pour montrer leur colère et leur tristesse en scandant des slogans contre le régime et le Guide suprême du pays, l’ayatollah Ali Khamenei. Peu à peu, les manifestations se sont répandues à d'autres parties du pays, d’une ampleur dont aucun Iranien n'avait été témoin depuis la naissance du régime. Des femmes ont pu ôter leur hijab dans la rue à côté d'hommes tout en scandant  « à bas la république islamique ». La plupart de ces femmes sont issues de la jeune génération qui ne craint plus de brûler leur voile en signe de protestation, affront suprême pour un régime obsédé par le respect de sa réglementation des mœurs. Cette fois-ci, il est clair que les gens ne craignent qu’à la marge les forces armées du régime ; les images qui circulent sur les médias sociaux montrent des manifestants combattant la police et incendiant ses véhicules, scènes impensables il y a peu.

Par ailleurs, le président Emmanuel Macron a choisi de rencontrer à New York le président iranien Ebrahim Raeesi, une nuit où des Iraniens ont été abattus par la police dans les rues. Cette rencontre a scandalisé de nombreux Iraniens en leur faisant durement réaliser que leur combat ne recueille pas de soutien actif des dirigeants occidentaux, qui ne rechignent pourtant pas à s’ériger en parangons des droits humains. L’accès à internet a été coupé dès le début des manifestations qui sont désormais très violentes, ce qui restreint fortement le partage des vidéos et des images, particulièrement vers l’étranger. Les autorités ont pris l’habitude de recourir à ces coupures volontaires, ayant procédé de la même manière lors de manifestations précédentes et souvent exactement au moment où les autorités ont commencé à recourir à des armes létales. 

Diana Eltahawy, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Amnesty International, a déclaré à ce sujet : « L'effusion mondiale de rage et d'empathie suscitée par la mort de Mahsa Amini doit être suivie par des mesures concrètes de la part de la communauté internationale pour lutter contre la crise de l'impunité systémique qui a permis une propagation généralisée. La torture, les exécutions extrajudiciaires et d’autres homicides illégaux commis par les autorités iraniennes se poursuivent sans relâche derrière les murs des prisons et pendant les manifestations ». Le nombre de morts et de blessés n'est pas encore connu, mais des rapports suggèrent des chiffres importants dans de nombreuses villes d'Iran depuis le début des manifestations.

Les manifestations contre le régime iranien ne sont pas une nouveauté et les Iraniens ont montré leur désaccord et leur hostilité envers le régime de la République islamique à de nombreuses reprises. Le profil des manifestants alterne entre représentants de la classe ouvrière et plus largement des travailleurs précaires et une démographie plus estudiantine faite d’une nouvelle génération de jeunes qui se battent pour leur dignité et leur liberté.

Cette fois, ce sont surtout ces jeunes qui sont descendus dans la rue, pour manifester, mais n'hésitant pas lorsque nécessaire à combattre la police et les forces armées, formées spécialement par le régime pour réprimer toute contestation.

Le constat de ces années d'oppression, d'injustice et d'inégalité en Iran est qu’elles ont uni le peuple iranien au lieu de le briser. On retrouve des idées et des espoirs différents parmi les manifestants et unir les oppositions au régime a toujours été un défi impossible pour les militants, mais la mort de Mahsa Amini a suscité tellement de colère envers le régime que tous les groupes d'opposition sont désormais unis dans un même but. Renverser la république islamique d’Iran.

Des images montrent à présent que les manifestants se battent sans armes contre les policiers fortement armés. Contrairement aux manifestations précédentes, les insurgés ne semblent plus intimidés par la puissance répressive du régime,  ne montrant aucun signe de pitié envers les policiers qui ont tué leurs frères et sœurs. L'un des slogans les plus utilisés en ce moment est : « Je tuerai, je tuerai celui qui a tué ma sœur ». Il semble que le peuple iranien ait tiré des leçons des manifestations précédentes en semblant cette fois élaborer des plans et des stratégies dignes des plus illustres guérillas. Ils utilisent des grenades artisanales, utilisent des stratégies de guérilla urbaine pour bloquer les rues, font usage du gasoil pour rendre les rues glissantes, technique s’étant avérée certes simple mais particulièrement efficace. Il semble que le régime n'ait pas assez de forces pour réprimer l'intégralité de la vague de soulèvements car des manifestations se déroulent quotidiennement et dans toutes les villes du pays. Face aux manifestants, la république islamique utilise de jeunes garçons endoctrinés  et  formés à la répression des foules qu'on appelle Basiji.

Les conséquences de ces manifestations sont difficiles à prédire. Personne ne sait si le mouvement réussira ou non, si le régime tentera de négocier avec les manifestants et octroyant plus de liberté et de droits ou s' il décidera simplement de s’enfoncer dans une doctrine de répression à tout prix. La plus grande réussite de ces manifestations a été d’informer et de faire connaître les problématiques de l’Iran au monde entier, ces événements ayant été très médiatisés et les revendications des manifestants bien relayées. Bien qu'Internet soit bloqué tous les soirs et que certaines applications comme WhatsApp, Telegram, Facebook, et tant d’autres soient bloquées toute la journée, les Iraniens qui vivent à l'étranger aident leur peuple à sensibiliser le monde à ce qui se passe dans leur pays, à défaut de pouvoir directement aider la lutte. Nombreux sont les Iraniens qui estiment que leur mobilisation est d’ores et déjà une grande réussite, en ce qu’ils ont prouvé au monde entier qu'ils ne sont pas soumis à leur régime de dictature religieuse, puisque leur détermination à se battre et leur volonté à se sacrifier pour leurs propres droits et ceux de leurs concitoyens dépasse grandement la puissance répressive de la république islamique.






Précédent
Précédent

Le documentaire "La Combattante" : l'entraide à travers les frontières

Suivant
Suivant

Le fléau de la fast fashion, SHEIN