La course à l’eau : quelles solutions face au dérèglement climatique ?

Les sécheresses et inondations consécutives observées ces dernières années dans le cadre du dérèglement climatiques ont souligné le manque de moyens mis en place pour faire face à un défi de taille : le contrôle de l’eau. Ainsi, de nombreux projets d’aménagement urbain ont vu le jour dans le monde afin de répondre à cette difficulté. 


Ce samedi 13 janvier 2024, plusieurs centaines de personnes ont ainsi manifesté en soutien aux habitants de la commune de Blendecques, dans les Hauts de France.

« Il y a urgence, les gros travaux doivent être faits, tout doit être repensé pour qu’il n’y ait plus d’inondations », déclare à l’AFP David Vilain, co-créateur du collectif « Blendecques Aa : plus jamais ça ». Habitant de la commune, sa maison a été lourdement touchée par les crues de janvier : « J’ai eu jusqu’à 60 cm d’eau dans la maison, on m’a annoncé minimum un an avant que je puisse y retourner », a-t-il déploré.


Une situation globale 

Si, du point de vue climatique, la fin 2023 s’est avérée être une saison de catastrophes, cela continue en 2024 et ne risque pas de s’améliorer. Après l’été le plus chaud jamais mesuré dans le monde selon l’observatoire européen Copernicus, elle a vu passer de grandes sécheresses aussi bien que des tempêtes : Ciaran en Angleterre et en France, Daniel en Europe du Sud, sans oublier des crues record, comme celles ayant touché l’Ethiopie, le Kenya et la Somalie après trois années de sécheresse. On assiste donc à une série de phénomènes liés à l’eau, ressource si difficile à contrôler et cependant vitale pour l’Homme. 

Entre sécheresses et inondations, il devient difficile de trouver un juste milieu. Dans son rapport du 12 octobre, l’OMM ( organisation météorologique mondiale), alerte sur le déséquilibre du cycle hydrologique en raison du dérèglement climatique et des activités humaines. Ces événements climatiques sont ainsi directement liés à la sécurité hydrique des personnes : en effet, l’eau est primordiale à la survie et à la production humaine, d’où les difficultés qu’ils impliquent. L'ampleur des pluies automnales dans certaines régions ne doit pas nous leurrer. Les sols secs absorbent difficilement la pluie : il devient presque impossible de retenir cette eau et de renouveler les nappes phréatiques pour faire face aux périodes de sécheresse à venir. D’autant plus que ces phénomènes sont voués à se répéter à l’avenir puisque la même loi physique crée à la fois des situations de pénurie et des risques d’inondation. Un air chaud contient plus d’humidité. À chaque degré supplémentaire, l’atmosphère est capable de transporter 7 % d’eau supplémentaire, ce qui signifie une retenue de l’eau dans l’air durant plus longtemps, puis des précipitations intenses. Il est donc urgent de revoir la façon de stocker cette eau afin d’éviter ce paradoxe de villes régulièrement inondées et subissant dans le même temps des pénuries d’eau critiques. 

Quelles sont les innovations possibles pour contrer ces catastrophes climatiques frappant l’humanité de plein fouet ? Et quels sont les autres obstacles empêchant un accès à l’eau, devant pourtant être accessible « dans des conditions acceptables par tous » selon le ministère de la transition écologique ? D’énormes moyens doivent être mis en place pour s’adapter à la situation, moyens se trouvant cependant être inégaux selon le niveau de développement des pays concernés.


Le modèle de la « ville éponge », favoriser les solutions basées sur la nature 

Les villes sont particulièrement exposées au double défi des canicules et des inondations en raison d’aggravation de phénomènes locaux : la démographie galopante, la pollution ou les matériaux empêchant l’absorption de l’eau sont autant de facteurs poussant les villes à devoir s’adapter.

Selon Gonéri Le Cozannet, ingénieur et contributeur du 6e rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), « tout ce qui favorise l’infiltration dans l’écosystème et les sous-sols pour recharger les nappes mérite d’être envisagé ». Il faudrait donc compenser l’irrégularité du cycle de l’eau par des systèmes se rapprochant au mieux de la nature, ce qui suppose de « limiter l’artificialisation des sols, de planter des haies… », et donc de limiter les effets de l’urbanisation. 

À Berlin, c’est un projet de « ville éponge » porté par l’architecte paysagiste Carlo Becker, qui est proposé pour faire face aux pluies diluviennes. Depuis 2018, la loi impose à chaque nouvelle construction de collecter les précieuses eaux de pluie. Michael Divé, porte-parole du promoteur immobilier Buwog, explique l’intérêt de ce système : « Avant, on essayait d'évacuer l’eau de pluie le plus rapidement possible de la ville. Et aujourd’hui, c’est exactement l’inverse. On essaie de la stocker sur place parce qu’elle a un rôle très important. D’une part, Berlin est très touchée par la sécheresse et les nappes phréatiques ont du mal à se renouveler. Et d’autre part, Berlin est confrontée à des fortes pluies à cause du changement climatique. »

Citernes, rigoles autour des arbres, cuvettes, toits verts,… cet immense projet urbain est à la mesure de son ambition : absorber et gérer efficacement les eaux de pluie et minimiser les risques liés aux inondations. Un système redonnant une place centrale au cycle naturel de l’eau, en contrant l’imperméabilité du béton et de la pierre propres à l’urbanisation. Le projet a fait ses preuves, puisque les inondations de juin 2017, dont les berlinois se souviennent, ont été évitées les années suivantes. Cette stratégie permet du même coup à Berlin d’accompagner sa transition vers un modèle de ville verte, en empêchant les inondations qui provoquaient le débordement des égouts et donc la mort de nombreux écosystèmes chaque année.

Le projet est cependant difficile à tenir, et ce même à l’échelle de la capitale de la troisième puissance économique mondiale : il sera impossible de métamorphoser entièrement Berlin, le coût des travaux et la densité de la ville rendent la tâche impossible. 

 Schéma ville éponge / Crédit : mega.online

Inspirée de méthodes hollandaises, le modèle de la ville éponge a été popularisé par un programme lancé fin 2014 par la Chine. D’ici 2030, 80% des aires urbaines du pays devront être capables d’absorber et de réutiliser 70% des eaux de pluie qui les touchent. Adapter les villes en cessant d’utiliser des matériaux imperméables, stocker l’eau pluviale tout en sachant les réutiliser une fois assainies et dépolluées, sont autant d’éléments de réponse pour lutter contre les catastrophes climatiques liées à l’eau et pour que cette eau soit ensuite utilisable dans tous domaines. Une adaptation qui a porté ses fruits, par exemple avec la ville de Wuhan : en 2016, elle est frappée par de fortes pluies qui paralysent le centre ville et la disparition des lacs est rapidement mise en cause. Recréer de grandes zones humides et des lacs en dehors de la ville a permis à nouveau de faire tampon lors d’épisodes de fortes pluies.

Les villes de New York, Montréal et Toronto s’inspirent également de ce modèle, mais le même frein touchent les localités cherchant à mettre en place un tel système : tout comme à Berlin, les structures inadaptées installées depuis des années obligent à faire des choix structurels importants ville par ville, et le coût des travaux est faramineux.



Les « Water sensitives cities , projet urbain de longue haleine 

En Australie, un autre système est apparu afin de rendre la ville plus vivable : les water sensitives cities. Dans cette région fortement sujette aux conséquences du dérèglement climatique, 90% de la population vit en zone urbaine. D’où la nécessité de repenser entièrement la gestion de l’eau.

Le cycle de l’eau y est directement compris dans la conception globale de la ville, contrairement aux villes éponges où les concepteurs sont souvent contraints d’adapter une architecture ancienne qui s’y prête mal. La Cooperative Research Centre for Water Sensitive Cities (CRCWSC) a été créée en juillet 2012 afin de faciliter les échanges et les collaborations entre professionnels, industriels, scientifiques et communautés locales. Plusieurs systèmes complémentaires sont ainsi mis en place pour diversifier les captages de l’eau, en améliorer la qualité, protéger les milieux naturels en amont et en aval des villes pour limiter la pollution,… L’objectif est d’améliorer la qualité de vie des habitants tout en protégeant l’environnement.

Ainsi, au sud-ouest de l’Australie, la ville de Perth a restauré son cours d’eau urbain Bannister, revitalisé grâce à des travaux de terrassement et  à une revégétalisation du bras urbain. Le cours d’eau a repris une forme naturelle, permettant d’améliorer l’écoulement des eaux pluviales, de pouvoir faire tampon sur les possibles inondations, et d’améliorer la qualité de l’eau. D’autres régions se concentrent particulièrement sur la réutilisation de l’eau de pluie, comme à Warrnambool dans le sud du pays, où l’on collecte l’eau des toits des nouveaux bâtiments ou habitations pour la diriger vers un bassin où elle sera traitée, filtrée et rendue potable. 

À Orange dans la région aride de la Nouvelle Galles du Sud, la collecte et le traitement des eaux pluviales permettent l’approvisionnement de 25% de l’eau potable de la ville.

Les projets se multiplient dans un pays développé et contraint de réfléchir de longue date à ces problématiques, en raison de l’aridité de ses territoires touchés par les inondations comme par les sécheresses. Le système des Water sensitives cities a par la suite été infusé dans la région du grand Mékong (Vietnam), qui y serait également bénéfique. Mais la mise en place de ce modèle demande une collaboration étroite entre pouvoirs publics et scientifiques, ce qui représente en soi un défi. 

En effet, les systèmes de villes éponge comme ceux des Water Sensitives cities sont viables et pourraient constituer l’avenir face au dérèglement du cycle de l’eau, par l’adaptation sans précédent qu’ils constituent. Bien plus que les mega bassines, contestées en France en raison de leur impact sur le milieu naturel et la biodiversité, leur manière de s’inspirer du cycle naturel a fait ses preuves. Mais ces derniers demandent d’immenses moyens économiques et organisationnels, que toutes les régions du monde ne pourraient pas se permettre malgré leurs besoins urgents concernant l’eau : la précieuse ressource montre ainsi une inégalité certaine face au dérèglement climatique en général. 

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