Hugo Décrypte, un exemple de journaliste d’un nouveau genre ou une dérive vers le rôle d’influenceur ?

“Salut c’est Hugo, j'espère que vous allez bien, c’est donc le sujet à la Une des actualités du jour ...!”. Visage souriant, décor cosy et même phrase d'accroche, Hugo Décrypte a tout d’un Youtubeur, et pour cause : suivi par près de 2 millions de personnes, il est devenu une référence sur la plateforme. Tous les jours, les internautes peuvent le retrouver dans ses courts formats présentant les “Actus du jour”, sur YouTube aussi bien qu’Instagram ou encore Twitter : entre journalisme et influenceur, Hugo Travers enfile donc plusieurs casquettes. Retour sur ces plongées dans l’actualité en compagnie de l’une des personnalités les plus influentes auprès des jeunes.

Photos de profils d’Hugo Décrypte (grands formats, actus du jour et pop)

Un créateur entre journalisme et milieu de l’influence

À seulement 26 ans, Hugo Travers a à son actif un panel de formats sur de nombreuses plateformes : entre YouTube, Instagram ou encore Twitter, il y en a pour tous les goûts. Cette aventure commence avec la création de sa chaîne YouTube en 2015 alors que le créateur est encore étudiant à Sciences Po. En 2023, huit ans plus tard, il s’est entouré de treize journalistes, tous la vingtaine, postant quotidiennement des condensés d’actualités sur TikTok, Instagram, Twitch, Twitter et même Spotify. Le succès des chaînes croît avec les abonnés ainsi qu’avec l’influence d’Hugo Travers lui-même, nommé par la liste Forbes 30 Under 30 France (regroupant les personnalités influentes de moins de trente ans) dans la catégorie Média.

Nombre d’abonnés d’Hugo Décrypte par plateformes

Hugo Travers est le visage de chacun de ces réseaux, ce qui rend sa dissociation avec le média difficile et fait de lui une “personne-média”. Par ce rôle important sur les réseaux, on pourrait définir Hugo comme un “influenceur”. On qualifie ainsi une personne qui influence l'opinion ou la consommation de son audience sur les réseaux sociaux. Mais cette définition reste assez floue, comme nous l’a montré un sondage que nous avons réalisé dans le cadre de ce reportage. Si 55% des participants estiment qu’Hugo est un influenceur et que 45% rejettent cette qualification, de nombreuses réponses montrent la difficulté de cette question : “Je sais pas très bien ce que c'est un influenceur de nos jours”, “Tous les journalistes sont des influenceurs, non ? Puisqu'ils influencent l'opinion publique”... (réponses anonymes). Il existe donc, à travers le cas de ce créateur, une porosité entre le milieu du journalisme et celui de l’influence difficile à qualifier pour ceux qui le suivent.

Le journalisme est pourtant un milieu bien différent de l’influence : à priori plus critique et distant, le journaliste est soucieux de communiquer une information fiable et vérifiée, tandis que l’influenceur recherche une relation spontanée avec sa communauté. Peut-on affirmer pour autant que le contenu partagé par Hugo Décrypte n’est pas du journalisme?


S’adapter aux réseaux sociaux : une incompatibilité avec le journalisme ?

Le souci d’Hugo Travers en réalisant ses contenus est bien de transmettre une information vérifiée, se fondant sur des sources. À la question “ Que vous évoquent les chaînes d’Hugo Décrypte en trois mots ? ”, les notions de “confiance” ou de “fiabilité” reviennent souvent, montrant un certain sérieux accordé à la chaîne.

L’activité du jeune créateur de contenu ne s’exerce cependant pas sur des plateformes propres aux journalistes, posant un problème majeur de compatibilité : transmettre des informations sur les réseaux, oui, mais ces derniers ne présentent-ils pas des freins majeurs ?
Les réseaux sociaux sont loin d’être une plateforme neutre, ils font jouer des outils de censure importants. S’ils sont au centre des controverses politiques, scientifiques ou culturelles qui traversent nos sociétés, ils sont également la propriété de grandes entreprises et milliardaires (Elon Musk pour Twitter, Mark Zuckerberg pour Facebook...) qui y font régner leurs lois pour supprimer certains contenus. Les outils de modération prévus initialement pour protéger les utilisateurs peuvent donc servir ce but, mais aussi être exploités par ces mêmes utilisateurs pour étouffer les points de vue contraires aux leurs. Le signalement, par exemple, peut devenir une réelle arme. Des signalements massifs (listes de diffusion, messageries privées), peuvent notamment être méthodiquement dirigés par des gouvernements, des organisations plus ou moins opaques, notamment dans le but de manipuler l’information ou de réprimer des opposants politiques.

Si Hugo Décrypte n’a jamais fait face à ce type de problèmes, on peut se demander s’il est amené à adapter son contenu en prévision de ce danger potentiel. Cela peut consister à vouloir rester consensuel, sans aller dans le fond des choses, ce qui lui est parfois reproché.

Réponses à la question “Quelle est votre opinion sur la chaîne Hugo Décrypte” / Capture d’écran, Reddit

Les contenus d’Hugo Travers et de son équipe sont ainsi souvent présentés comme de bons résumés de l’actualité, mais inaptes à l’analyser réellement.

Dans les commentaires de ses vidéos elles-mêmes, on peut trouver des reproches sur des sujets aussi divers qu’une information pas assez expliquée, un vocabulaire mal choisi ou encore des inquiétudes sur l’indépendance de ses chaînes face à son nouveau format qui passe sur France 2 depuis le mois d’octobre... Les débats sur les sujets en eux-mêmes glissent ainsi vers la façon dont la chaîne les traite. Le lien avec la communauté et entre ses membres est direct et peut permettre des débats constructifs, mais dans le cadre de sujets clivants tels que le conflit israélo-palestinien, l’audience se livre à des discussions où l’on peut observer des attaques violentes. C’est le cas par exemple pour la vidéo du 16 décembre 2023, “Pourquoi Israël est complètement isolé à Gaza”. On peut y lire des commentaires contre le créateur : "Hugo la pleurniche" "Désabonné !!!" "sombre ignorant, ça fait 75 ans qu'Israël commets des exactions envers les Palestiniens, va falloir arrêter de chialer avec le 7 octobre; Israël fait de la merde, c'est pas une offensive, point barre.", mais aussi entre utilisateurs : “Citer des faits serait donc naïf ? Il semblerait que les gens ici ne sont pas très au point sur les définitions de mots”.

Exemples de commentaires sous la vidéo du 16 décembre 2023, “Pourquoi Israël est complètement isolé à Gaza” / Capture d’écran, YouTube

Hugo dit lui-même s’adapter à la possible censure existant sur les réseaux sociaux : ayant conscience qu’une vidéo jugée sensible peut être démonétisée, le créateur de contenu cherche donc à “déjouer” ces algorithmes, en utilisant par exemple des astérisques dans ses titres sur YouTube afin que la vidéo ne soit pas prise pour cible. Ainsi, éviter la censure fait partie de son rôle de journaliste sur les réseaux sociaux, ce qui montre tout de même une certaine restriction dans la liberté d’informer par ce biais.

En outre, comme le remarque l’une des réponses à notre sondage, “Il gagne de l'argent grâce à ses formats donc il est en quelque sorte obligé de se comporter comme tel” (comme un influenceur). En effet, Hugo a choisi de transmettre son contenu via les réseaux et doit donc utiliser les règles propres à ce média. Les miniatures, par exemple, suivent le modèle aguicheur propre à YouTube et sont parfois jugées “putaclic” (contenu web destiné exclusivement à attirer le maximum de passages d'internautes). Cela aboutit à une commercialisation du contenu, puisqu’une équipe à part entière a la charge de la communication. Le choix des marques partenaires devient un véritable enjeu, bien que sa volonté serait de “moins reposer sur cette dimension publicitaire”, ce qui peut passer par des formats documentaires plus longs à proposer de façon payante ou en travaillant avec un autre média, ce qui n’est pas encore mis en place. L’autre danger important serait alors de voir l’information comme un “tremplin” à un possible business. En tant qu’ex-étudiant en communication, médias et industries créatives, Hugo peut être tenté d’utiliser ses chaînes à la manière d’une start-up, en développant leur concept sur toujours plus de réseaux, et ce point de vue commercial pourrait nuire à l’information en elle-même.

Exemples de miniatures sur la chaîne YouTube d’Hugo Décrypte - Actus du jour / Capture d’écran, YouTube

Cet usage propre à YouTube attire tout particulièrement un public jeune, bien que ce ne soit pas l'intérêt principal de la chaîne pour le vidéaste. Lors de sa conférence à Média en Seine le 22 novembre 2023 “Comment réinventer l’information?”, Hugo Décrypte explique que chaque réseau peut être une plateforme d’information, que son public est jeune en raison des plateformes utilisées et non parce que son contenu est prévu “pour les jeunes”, “il n’y a pas de codes qu’on peut attribuer spécifiquement aux jeunes, [...] on a des sujets assez similaires à ce que pourraient faire d’autres médias”.

“Seuls les médias qui réussiront cette transition en ligne survivront”

Ainsi, Hugo Décrypte voit dans cette façon d’utiliser les réseaux sociaux un renouveau des médias. Il affirme dans une interview avec Le Média : “ Je ne vois pas les réseaux sociaux comme un renversement complet à partir duquel les médias traditionnels et marques médias sont voués à disparaître, à être remplacés. En revanche, ils doivent l'investir. [...] Selon moi, seuls les médias qui réussiront cette transition en ligne survivront.” Certains médias commencent à se lancer sur les réseaux sociaux, Le Monde est par exemple très présent sur presque chacun d'entre eux et a adapté ses contenus aux plateformes. Hugo Décrypte marque les débuts de l’actualité journalistique sur YouTube mais aussi sur Instagram, plus simple d’utilisation, dont il se sert pour compléter le contenu de ses vidéos.

Avec les formats “Les 5 actus du jour” sur ses différents comptes (général, pop et sport), le créateur donne une nouvelle fonctionnalité à la plateforme : des textes courts, accompagnés d’images, sont mis à l’honneur sur la plateforme grâce à des hashtags permettant de les retrouver même sans être abonné. Notre sondage nous a dévoilé que 85% des personnes qui ne suivent pas Hugo Décrypte sont déjà tombées sur son contenu grâce aux suggestions ou à l’onglet “découverte” sur Instagram. D'autres médias comme Brut ou Konbini ont également investi cet espace.

Bien que le fait d’investir les réseaux sociaux ait au départ été un frein à sa légitimité, toucher les jeunes lui a, au final, permis une réputation assez sérieuse, notamment par le biais des politiques. En effet, ces derniers trouvent en lui un moyen fiable de toucher ce public, ce qui s’est fait avec le temps. On se souvient de cette vidéo avec Bruno Le Maire en 2016 où ce dernier souhaitait à tout prix parler “jeune” : “ Je voudrais que n’importe quel Français, dans n’importe quelle école de France, se dise : ‘Putain, je suis Français, c’est la classe !’ ” . Depuis, le média et son image ont évolué : informer les jeunes par le biais des réseaux n’est plus synonyme de relâchement et manque de sérieux. Sur ses chaînes, Hugo Travers a pu interviewer tous les candidats à la présidentielle en 2022, Emmanuel Macron en 2023, et, selon lui, “aujourd'hui, si Bruno Le Maire revient sur la chaîne, il ne va pas lâcher trois gros mots et dire “salut les jeunes” ”. Son influence s’est donc étendue avec cette légitimité attribuée à la chaîne, permettant de montrer qu’il est possible de transmettre de l’information sur les réseaux sociaux tout en étant considéré comme fiable. Si cela équivaut à un travail journalistique, c'est encore une autre question.

Entre transmission de l’information et recherche constante de la satisfaction de sa communauté, Hugo Travers doit ainsi concilier les obligations d’un journaliste avec celles d’un influenceur. Asseoir sa légitimité tout en s’adaptant aux plateformes et leurs possibles censures, être assez consensuel tout en essuyant des critiques sur son manque d’approfondissement ou d’indépendance... Sa position ambiguë donne du fil à retordre sur la manière de définir ce “nouveau journalisme” que certains lui attribuent, et la manière dont il pourrait se développer.

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