Tribune : Défendons le Conseil constitutionnel

Contestations politiques de la Décision de censure partielle de la “loi immigration” du Conseil constitutionnel, le risque d’une dérive anti-démocratique. Suite à la décision du Conseil constitutionnel du 25 janvier dernier censurant près des deux tiers de la loi pour “contrôler l’immigration, et améliorer l’intégration”, de nombreux acteurs du monde politique se sont fait un malin plaisir de commenter la décision. Ils en ont profité pour tirer à boulets rouges sur le Conseil constitutionnel. De l’extrême droite aux écologistes, les commentaires n’étaient évidemment pas les mêmes, et les leçons à en tirer non plus. Commençons par rappeler que le Conseil a censuré 37 articles du projet de loi dont seulement trois pour leur fond. Ces censures portent sur les ajouts apportés à la loi par la droite sénatoriale, et n’ont pas touché au texte initialement proposé par le gouvernement. La droite et l’extrême droite se sont offusquées de la décision, dénonçant un “coup de force des juges” pour Jordan Bardella, expliquant que les Sages de la rue des Rosiers avaient jugé en “politique plutôt qu’en Droit” pour Eric Ciotti. À gauche, les initiateurs de la saisine se sont félicités de la décision, un « soulagement » pour Sandrine Rousseau pour qui la censure rappelle les principes fondamentaux énoncés par notre devise. Ces réactions politiques ont malheureusement donné lieu à certaines déclarations remettant en cause la légitimité du Conseil constitutionnel et insidieusement son bien fondé. Des déclarations passées relativement inaperçues, mais qui sont en réalité dangereuses pour la démocratie.

Nous nous attarderons ici sur deux d'entre elles : celle de Laurent Wauquiez, élu les Républicains sur son compte X, et celle de Jean-Luc Mélenchon, chef de file des Insoumis, interrogé par Benjamin Duhamel sur BFMTV. Laurent Wauquiez a attaqué frontalement la décision du Conseil constitutionnel, s'indignant dans un X d'un “coup d'État de droit” reprochant au Conseil constitutionnel d'aller à l'encontre de la volonté populaire (qui n'est relatée que par de vagues sondages).

Tweet de Laurent Wauquiez du 26 janvier 2024

Jean-Luc Mélenchon, lui, était interrogé sur sa position vis-à-vis de la déclaration de M. Wauquiez se justifiant d'un opportuniste : “Moi ça m'arrange !” (Ndlr: la décision), alors même que l'an dernier, il s'était montré critique à l'encontre du Conseil après la décision sur la réforme des retraites se désolant que “La décision du Conseil constitutionnel montre qu'il est plus attentif aux besoins de la monarchie présidentielle qu'à ceux du peuple souverain”.

A partir de 31 minutes, BFMTV

Le Conseil constitutionnel, garant de la démocratie

Ces contestations du rôle et du pouvoir du Conseil constitutionnel nécessitent certains rappels théoriques, pour ne pas perdre de vue que l’existence de cette juridiction est tout sauf une entrave à la Démocratie, bien au contraire. En effet, la possibilité de contrôler la conformité des lois à la Constitution par une juridiction indépendante et souveraine est la clé de voûte de la hiérarchie des normes. La République française a fait le choix pour plus d’indépendance de donner ce pouvoir à une juridiction à part, comme le préconisait le juriste allemand Hans Kelsen au début du XXe siècle. Plutôt qu’au détenteur du pouvoir exécutif, ce que prônait son contradicteur Carl Schmitt.

En effet, laisser au Parlement le soin d’élaborer la loi sans pouvoir contrôler son respect de la Constitution reviendrait à donner la possibilité de détricoter l’organisation étatique en l’espace d’une législature aux élus, sans pouvoir garantir une stabilité institutionnelle ou le respect pérenne des libertés fondamentales. Le Conseil constitutionnel dans la forme actuelle a été introduit par la Constitution de 1958 et était un moyen pour les constituants de calmer les ardeurs du Parlement, jugé trop puissant sous les IIIe et IVe Républiques. Le Garde des Sceaux de l’époque, Michel Debré expliquait alors qu’il manifestait « la volonté de subordonner la loi, c’est-à-dire la volonté du Parlement, à la règle supérieure édictée par la Constitution ».

Il est ainsi évident que les attaques portées par Laurent Wauquiez ou Jordan Bardella ébranlent directement l’autorité de notre Constitution et, de fait, de principes fondamentaux protégés par la DDHC ou le Préambule de 1946. Ces réactions paraissent d’autant plus inappropriées, que dans le cas présent, la plupart des articles censurés par la juridiction l’ont été, car ils n’étaient pas directement ou indirectement reliés à l’objectif de la loi.

L’indépendance du Conseil constitutionnel

Malgré tout, nous pouvons tout de même noter qu’un autre problème apparaît, ces justifications fonctionnent si les membres du Conseil sont réellement indépendants ! C’est peut-être ici que le bât blesse, en effet, les membres étant nommés par le Président, le Président du Sénat et celui de l’Assemblée nationale, tous, ou presque ayant déjà été élus : proches du gouvernement, anciens avocats, militants, ancienne professeure d’Histoire… Ne nous en faisons pas de notre côté, il est compréhensible que des réserves soient émises quant à leur réelle indépendance vis-à-vis du pouvoir en place ! C’est en tout cas ce que défend le professeur François Julien-Laferrière, professeur émérite de Droit Public à l’université Paris cité dans une tribune publiée le 15 mai 2023 où ce dernier explique que “le mode de désignation des membres est l’une des sources des faiblesses de l’institution”.

Même si le Président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius s’est voulu rassurant le 26 janvier dernier sur les antennes de France Inter expliquant qu’« ils n’étaient pas là pour rendre des services au pouvoir politique », la légitimité du Conseil constitutionnel semble être mise à mal. La solution pourrait venir d’un changement du mode de nomination de ses membres pour préserver cette institution juridique qui reste primordiale.

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