Elections municipales 2024 à Istanbul : quel avenir pour l’opposition ? 

« Cette élection est ma dernière élection » déclare le Président Recep Tayip Erdogan, à Istanbul, le 8 mars. Au pouvoir depuis 2003, il évoque pour la première fois la fin de son mandat à la tête de la Turquie. Cette déclaration apparaît comme une nouvelle tentative de présidentialiser un scrutin stratégique. Les enjeux sont de taille : récupérer les plus grandes villes, confirmer sa mainmise sur le pouvoir et empêcher l’émergence d’un potentiel adversaire. À Istanbul, le scrutin pour la mairie métropolitaine opposera plus d’une cinquantaine de candidats.  

Dimanche 31 mars, les stambouliotes devront glisser trois bulletins dans l’enveloppe : un pour la mairie métropolitaine, un pour la mairie de district et un dernier pour le conseil municipal. Rappelons que ces votes ne sont pas interdépendants. Le maire métropolitain, actuellement Ekrem İmamoğlu, peut être élu même si une majorité des maires de districts appartient au parti adverse. La zone qui concerne Istanbul est étendue et comprend également des zones rurales et des villages. A Istanbul, l’équilibre politique est particulier : le maire métropolitain est issu du Parti républicain du peuple (CHP) mais une majorité des maires de district sont issus du Parti de la Justice (AKP).

Photo d’un bulletin de vote pour les élections municipales de 2024 pour la ville d’Istanbul, TRT Haber

Alors que la Turquie se prépare à de nouvelles élections, l’an passé a déjà été marqué des élections présidentielles avec un duel entre l’AKP et le CHP. Une partie du peuple turc est alors pleine d’espoir. Ils espèrent la chute de celui qui est au pouvoir depuis plus d’une vingtaine d’années. Une coalition « tout sauf Erdogan » voit le jour. Elle réunit de nombreux partis du centre gauche, en passant par la droite et même l’extrême-droite. Au centre de cet accord électoral, le candidat du CHP, Kemal Kiliçdaroglu, espère l’emporter. 

Finalement, le Président sortant déjoue la plupart des sondages et se fait réélire. Le soir de sa victoire, posté sur un bus dans le quartier d’Üsküdar, Erdogan veut faire passer un message. Il souhaite désormais récupérer Istanbul et parle de « continuer son travail » pour l’année 2024. Le Président semble avoir un rapport particulier et personnel à la ville : il en a été le maire de 1994 à 1998. En 2019, la ville est remportée par le CHP et Ekrem İmamoğlu devient maire de la ville. 

Depuis, Erdogan veut récupérer la ville. Durant les élections de 2019, après une requête de l’AKP auprès de la Haute Commission électorale, le vote est une première fois annulé. Le parti présidentiel dénonce des supposées fraudes. Le CHP accepte de se soumettre une nouvelle fois au vote. Résultat : une partie des stambouliotes se mobilisent et la victoire de l’opposition est écrasante. Ekrem İmamoğlu devient maire d’Istanbul. Aujourd’hui, ce dernier se représente et affrontera le candidat de l’AKP : Murat Kurum. 


Istanbul, un scrutin disputé


Au cours du mois de février, la bataille électorale est lancée. On le sait : les résultats vont être serrés. Chaque quartier d’Istanbul a ses préférences électorales. Des quartiers plus progressistes tels que Kadikoy ou Beşiktaş votent majoritairement pour le CHP. A l’inverse, le quartier conservateur de Fatih vote massivement pour l’AKP tandis que le quartier d’Üsküdar reste largement disputé. En 2023, pour les élections présidentielles, ces divisions par quartier sont claires (voir carte ci-dessous).

Carte des votes des élections présidentielles de 2023 par quartier réalisée par Yeni Şafak


Si le scrutin réunit une cinquantaine de candidats, un duel entre l’AKP et le CHP se dessine. Des cabanes s’installent dans des coins stratégiques d’Istanbul et des camions passent toute la journée avec des photos des candidats. En ce mois de ramadan, chaque parti organise également des distributions de nourriture. A Üsküdar, à proximité du ferry, deux cubes géants ont été installés. A droite, celui du CHP affiche le portrait du maire sortant. A gauche, celui de l’AKP affiche des vidéos de Murat Kurum serrant la main des stambouliotes. Il est possible de rentrer à l’intérieur et de découvrir les programmes des deux candidats. La campagne électorale laisse donc des traces dans le paysage urbain.

Photo prise à Istanbul, dans le quartier d’Uskudar, 2 mars 2024

Les résultats seront annoncés à 21h. Dans l’Est, les bureaux de vote seront fermés à partir de 16h. À Istanbul, ils ne fermeront qu’à 17h. Les premières tendances peuvent être trompeuses car les petites villes et les petits arrondissements de la capitale économique seront les premiers à dépouiller leur vote. Si ce scrutin est d’abord local, il pourrait avoir des conséquences pour l’avenir politique national du pays. 


L’ombre du Président 


Il est sur toutes les affiches et tous les tracts de son parti. Recep Tayip Erdogan paraît plus qu’impliqué dans les élections à venir. D’abord, la plupart des grandes villes turques sont aux mains du CHP. Ankara, Izmir et Istanbul sont devenus des obsessions pour le Président. Dans chacune, il participe activement à la campagne électorale. A Izmir, le 10 mars, il organise un meeting avec le candidat Hamza Dağ. Le 24 mars, il prévoit un  similaire à l’aéroport d’Ataturk, à Istanbul. Il se présente ainsi régulièrement auprès des figures qu’il a lui-même désignées pour chaque ville. 

Photo du meeting organisé par l’AKP, à Izmir, le 10 mars 2024

Après sa victoire en 2023, Erdogan veut confirmer sa mainmise sur le pouvoir. S’il semblait annoncer son retrait de la vie politique, il semblerait au contraire que son règne soit loin d’être terminé. Selon les lois actuelles, il lui est impossible de refaire un mandat présidentiel. Cela pourrait néanmoins être modifié. Une partie de l’opposition et de l’électorat turque s’interroge sur les réelles intentions du chef d’Etat. Risquera-t-il de quitter le pouvoir considérant les poursuites judiciaires qui pèsent sur lui et son parti ? Entre la gestion des séismes de février 2023 et les affaires de corruption, lui et les membres de son parti ne sont pas à l’abri des procès. 

Erdogan se doit également d’assurer sa succession et d’empêcher l’émergence d’un candidat dans le camp adverse. L’actuel maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, pourrait devenir un adversaire de taille pour le Président. Sa défaite aux municipales compromettrait son avenir sur la scène politique nationale. 

En choisissant un profil comme Murat Kurum pour le représenter à Istanbul, l’objectif d’Erdogan est clair : rester l’homme fort de son parti pour les années à venir.






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