Un congé paternité pour transformer l’essai ?

Vendredi dernier, lors d’un passage à Grenoble, j’ai assisté au match de rugby qui opposait le FC Grenoble au RC Vannes. Si le match avait un enjeu important pour l’équipe de Grenoble en quête de victoire depuis quelques matches, je voudrais revenir sur l’absence d’un joueur dans l’effectif grenoblois : Timoci Nagusa. L’absence d’un joueur lors d’un match n’est pas en soi quelque chose de notable : blessure, sous performance, covid, les raisons de l’absence de joueur sont nombreuses. Seulement cette absence est différente : celui-ci a pris un congé paternité, une première dans le rugby français. Revenons sur un débat sociétal qui s’est immiscé dans l’univers fermé du rugby.

L’absence de l’ailier grenoblois est hors norme. Celui ci a pris un congé paternité, une première dans le rugby français.

Un congé paternité pour "lutter contre les inégalités de destin"

Le 23 septembre 2020, Emmanuel Macron annonçait qu’à partir du 1er juillet 2021, la durée du congé paternité serait doublée. Les pères pourront ainsi prendre 28 jours de congés après la naissance de leur enfant. De plus, ces 28 jours peuvent être séparés en deux périodes de cinq jours minimums et quatre jours de congés consécutifs sont obligatoires après les trois jours de congé de naissance. Cette mesure est présentée par le gouvernement comme un enjeu de « lutte contre les inégalités de destin ».

Le congé paternité permet aux pères de pouvoir aider au mieux les mères, souvent fatiguées après un accouchement, à s’occuper d’un nouveau-né et des autres tâches de la maison. Il peut donc permettre l’établissement d’une répartition des tâches plus égalitaire dans le foyer dès les premiers jours de l’enfant.

Les opposants à ces mesures utilisent fréquemment les difficultés économiques et de personnel pour les entreprises et les collègues du père. Les plus extrêmes expliquent que le congé maternité a été créé pour que les femmes se reposent après un accouchement, problème qui ne regarderait alors pas les hommes. Eric Zemmour disait encore récemment sur C news « Est-ce que l’homme a besoin d’un congé paternel ? Non ! Pourquoi a-t-on donné un congé maternel à la femme ? Parce qu’elle accouchait et que donc il fallait qu’elle se remette des souffrances, des fatigues, de l’accouchement, de la naissance, de nourrir son enfant, des nuits blanches… Pourquoi l’homme est-il concerné par tout ça ? ».


Si Eric Zemmour ne semble pas pouvoir comprendre le rôle du père dans une famille actuelle, de nombreux gouvernements étrangers l’avaient compris bien avant la France. En effet, les pays scandinaves ont depuis de longues années adopté le congé paternité, ou un congé parental, un nombre de semaines à partager entre les deux parents. Il en est de même en Allemagne où les parents peuvent se partager 12 mois de congés parentaux. En 2020, la Suisse a aussi mis en place un congé de deux semaines pour le père payé à 80%.

Le monde du rugby face à la polémique

Les nombreux débats sur le sujet ne sont pas une chasse gardée du monde politique. Le sujet a fait couler beaucoup d’encre sur la planète de l’ovalie, monde qui paraît souvent à part, avec ses règles incompréhensibles, son vocabulaire spécial, ses petits chouchous et ses mauvais élèves.

Cependant, le congé paternité pris par Timoci Nagusa montre que le rugby est finalement aussi ancré dans une société et que les lois de la République s’appliquent aussi aux joueurs de rugby. Avant d’être des héros de leur club, des demis dieux nationaux ou la risée des supporters, ils sont des salariés d’une entreprise : leur club, et qu’à ce titre, les joueurs ont les mêmes droits sociaux que les autres salariés.

C’est peut-être cette dernière idée qui n’est pas du goût de tous, un joueur de rugby, un simple salarié ! Cela serait-il possible ? Chacun en va de son commentaire, le manager de l’équipe de Bordeaux, Christophe Urios affirmait « Les joueurs de haut-niveau sont des êtres exceptionnels qui ont réussi. Ils sont engagés avec des clubs. Je trouve qu’il prend en otage son staff et son club. Un sportif de haut-niveau, même s’il a des contraintes fortes de performances, ils ont quand même beaucoup de temps libre les mecs. Il peut très bien subvenir à sa famille tout en jouant le jeu avec son club. […] Le droit de paternité existe, je l’entends. On a des compétitions, il y a une exigence du très haut-niveau et ça dépasse le contrat. ».

Christophe Urios n’est pas le seul à aller dans ce sens, beaucoup critiquent le choix de l’ailier grenoblois. Les éléments avancés : les joueurs sont bien payés, il est possible d’allier son métier et être présent pour sa famille, il met son club en difficulté, non pas un mois mais trois le temps de sa réathlétisation, selon Philippe Saint André, ancien sélectionneur du XV de France.

" Un sportif de haut-niveau, même s’il a des contraintes fortes de performances, ils ont quand même beaucoup de temps libre les mecs. Il peut très bien subvenir à sa famille tout en jouant le jeu avec son club. […] Le droit de paternité existe, je l’entends. Mais on a des compétitions, il y a une exigence du très haut-niveau et ça dépasse le contrat ", explique Christophe Urios, manager à l'Union Bordeaux Bègles.

Si le métier de rugbyman peut être bien payé, il demande aussi des absences en week-end, de nombreux déplacements, un risque de blessure important qui peuvent être difficile à allier avec une vie de famille, la possibilité de voir son enfant grandir et avoir un rôle actif dans les tâches de la maison.

Au sujet de la mise en difficulté du club, il est vrai qu’après quelques bons résultats en début de saison, le FC Grenoble accumule les défaites. Cependant, il serait impossible de l’accorder à l’absence d’un seul joueur en sachant qu’une équipe de rugby en compte 15 sur un terrain, 23 avec les remplaçants, et d’une quarantaine de joueurs en totalité dans l’effectif.


Après la polémique, Timoci Nagusi a expliqué son choix sur France Info « Je ne vais pas dire aux gens ce qu'ils doivent faire ou leur demander de faire comme moi. Chacun fait ce qu'il veut. La loi offre un congé paternité de 28 jours, mais libre à chacun de le prendre ou non. Pour moi, la famille, c'est plus important que tout dans la vie. Ma femme est très importante. Quand je partirai en déplacement avec l'équipe, quand je serai à l'entraînement, elle restera auprès de mes enfants. Prendre cette décision c'est aussi une manière de la protéger. »

Il comprend les difficultés que son choix peut poser à son club et ses coéquipiers, « Mais ils doivent aussi comprendre que j'ai une responsabilité en tant que père, en tant que mari. » Il souligne aussi avoir eu des félicitations de la part de ces coéquipiers, malgré la surprise qu’a déclenché sa décision inédite.

"Je ne vais pas dire aux gens ce qu'ils doivent faire ou leur demander de faire comme moi. Chacun fait ce qu'il veut. La loi offre un congé paternité de 28 jours, mais libre à chacun de le prendre ou non. Pour moi, la famille, c'est plus important que tout dans la vie. Ma femme est très importante. Quand je partirai en déplacement avec l'équipe, quand je serai à l'entraînement, elle restera auprès de mes enfants. Prendre cette décision c'est aussi une manière de la protéger" Timoci Nagusa.

Cette polémique pourrait rester fermée au monde du rugby, souvent considéré comme un milieu sexiste et macho, dans lequel l’égalité femme-homme est un sujet qui passe après la troisième mi-temps. Cependant, l’existence même de ce débat souligne les divisions d’un monde qui cherche de plus en plus à s’ancrer dans une société en mouvement. Enfin, ce débat rugbystique évoque la nécessité pour chaque citoyen d’être acteur dans les changements sociétaux. La route vers l’égalité femme-homme est encore longue et la mise en place de mesures par le gouvernement ne suffit pas. Le chemin vers une société plus égalitaire, est écrit d’abord et avant tout par les citoyens.



Solenn Ravenel

Rédactrice chez Weshculture

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