Ukraine : Les femmes au premier plan

En guerre depuis le 24 février, l’Ukraine porte avec elle de nombreux deuils, qu’ils soient humains, culturels, patrimoniaux, physiques ou psychiques. Mais depuis plusieurs semaines, de nouvelles voix s’élèvent d’entre les débris des nombreuses destructions russes : celles des femmes violées. Provenant de plusieurs zones aux quatre coins du pays, particulièrement des villes de Kharviv, Boutcha, Kherson ou encore la région de Kyiv, d’immondes témoignages des violences de l’armée russe sont recueillis.

Il s’agit donc bien d’un phénomène généralisé, qui déborde largement de quelques crimes épars. Les situations de siège ou les troupes sont en contact direct avec les civils projettent les femmes et les filles dans une vulnérabilité totale face à la barbarie des soldats russes. On parle ici de viols collectifs, dénoncés déjà en mars dernier par les députés ukrainiennes Maria Mezentseva, Olena Khomenk, Alona Shkrum et Lesia Vasylenko qui avaient exposé le viol et l’exécution de femmes sexagénaires dans les environs de la capitale. 

« Les situations de siège projettent les femmes et les filles dans une vulnérabilité totale face à la barbarie des soldats russes. »

Plus récemment, au cours du mois d’avril, des récits glaçants des femmes restées sur place et de leurs filles à peine sorties de l’enfance. Parmi elles, Ekatarina (faux prénom donné pour l’interview), 38 ans, qui était restée à Boutcha avec sa fille de 13 ans, puisque sa mère était trop âgée pour fuir. Durant plus de deux semaines, elle a subi des viols plusieurs fois par jours pour tenter de protéger sa fille. Elle témoigne avec courage auprès de la RTS : « Ils m’ont dit : Ta fille est très belle… Je les ai suppliés de ne pas la toucher. Je leur ai dit : Faites tout ce que vous voulez avec moi, mais ne la touchez pas. ». De la pure torture psychologique et physique assumée par les militaires, « Un soldat nous a dit : Ce n’est pas une guerre, c’est du terrorisme, c’est de la torture psychologique. Comme ça votre président Zelenski va finir par comprendre qui on est ! »

Une Ukrainienne réfugiée en Pologne, dénonce les violences sexuelles de l’armée Russe lors d’une manifestation. PHOTO : GETTY IMAGES / OMAR MARQUES sur Radio-canada.ca

Les enquêtes sont ouvertes

La Cour pénale internationale a d’ores et déjà lancé une enquête sur les violences sexuelles commises par l’armée russe, mais des responsables onusiens réclament eux aussi des enquêtes indépendantes. « Il peut y avoir des centaines, voire des milliers, de femmes et de jeunes filles violées » estime Aliona Kryvouliak, une responsable de l’AFP. Plusieurs femmes tentent de se mobiliser.  Aujourd’hui, la fondatrice de l’ONG We are not Weapon of Wars souhaite lancer un outil numérique qui pourrait permettre aux victimes de « se signaler afin de coordonner l’assistance dont elles ont besoin et de pouvoir constituer un dossier judiciaire » (Libération).


Le réel problème, c’est la collecte de preuves. Sur le terrain, il faut faire face à la difficulté de les recueillir dans un pays en guerre, dans des zones ou les réseaux téléphoniques mobiles ou électriques sont perturbés, pour récupérer des témoignages de victimes traumatisées et humiliées. 

« Les ONG spécialisées dans la mise à jour des atteintes aux droits de l’homme ont toutes les peines à instruire des dossiers en nombre suffisant pour établir, par un système de preuves indéniables, la véracité de viols de guerre ou du moins à en démontrer le caractère massif et intentionnel » (Philippe Rousselot, cairn.info). 

« L’idée que l’acte se soit réalisé dans le cadre d’une intention globale qui dépasse le cas particulier du violeur n’est pas encore assez développée. »

Bosnie, été 1993. Des soldats bosniaques secourent une femme musulmane prostrée sur le bord d’une route à proximité de Travnik. Elle était détenue par les troupes serbes de Bosnie. Source : United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (OCHA) ; Integrated Regional Information Networks (IRIN). Photo : Antony Lloyd, 1993.

Toujours les femmes

Le viol en temps de guerre est trop souvent considéré comme un phénomène aléatoire et individuel.  L’auteur est sanctionné personnellement et dans la singularité de son acte selon un système de preuves identique à celui du temps de paix. Ainsi, les enquêtes sont laborieuses et souvent bien en dessous des réalités du terrain. L’idée que l’acte puisse être réalisé dans le cadre d’une intention globale – qui dépasse le cas particulier du violeur – n’est pas encore assez développée. Une abomination généralisée qui a tendance à vite tomber dans les tréfonds des malheureux « débordements de guerre ».

Car le viol de guerre n’est pas exclusif à l’Ukraine, et est retrouvé dans une infinitude de conflits. Un exemple marquant : durant la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses armées se sont livrées au viol de masse sur tous les fronts. Au viol systématique commis par les troupes allemandes en territoire soviétique a succédé celui des femmes allemandes par l’Armée rouge durant la campagne d’Allemagne de 1945. Mais les cas de Nankin, des Chiapas du Mexique, du Rwanda et tant d’autres peuvent aussi être cités.

Si le viol de guerre a souvent été impuni, comme lorsque le Tribunal international de Nuremberg ne l’avait même pas fait figurer dans les crimes de guerre reconnus, aujourd’hui ce n’est heureusement plus le cas. 

Le viol est désormais un élément constitutif de crime international, au même titre que les meurtres et les actes de torture. Mais ces viols sont davantage spécifiques puisque les conséquences sont extrêmement singulières et dépassent le cas propre de la victime. Les femmes d’un peuple sont trop souvent perçues comme une représentation identitaire, les violer c’est marquer la violence et la domination d’un Etat sur un autre. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir comment faire pour que cette association soit brisée. Peut-on espérer que la lumière médiatique tournée vers l’Ukraine permette l’évolution d’une conscience collective face à ces abominations répétitives ?

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