Éloge de l’intolérance face au fascisme

Voltaire, ô grand Voltaire, homme des lumières, gardien des principes fondateurs de notre république, ô brillant rédacteur du traité sur la tolérance, qui souligne brillamment, dans une lettre datant du 6 février 1770, adressé à L’abbé Le Riche, l’importance de la protection de la liberté d’expression en ces mots «Monsieur l’abbé, je déteste ce que vous écrivez, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez continuer à écrire. ».

Il faut l’admettre, la portée de cette citation a fait et défait de nombreux débats, et s’érige pour certains comme la suprême illustration de la forme la plus pure de la liberté d’expression.Malheur que d’apprendre que cette citation n’est autre qu’une apocryphe, une « citation » qui ne peut trouver de filiation à un quelconque auteur.

Malheur en effet d’apprendre que, cette phrase, refuge si confortable lors d’un débat houleux aux positions s’approchant de l’inacceptable, n’a point de fondement. L’absence d’authenticité de la phrase en limite-t-elle tant la portée ? Certes, la légitimité voltairienne est abattue, et l’argument d’autorité devient nul, mais l’idée reste la même, et le propos semble noble. La défense de la liberté d’expression. La liberté d’expression est au fondement de notre démocratie, l’esprit de contradiction face à la doxa, le pouvoir face aux contre-pouvoirs, les minorités face à la majorité.

La liberté d’expression, ce principe constitutionnellement garanti, cet impératif moral, ne devrait pas être limité dans une société où les acteurs du débat publics sont entièrement rationnels et motivés d’une honnête volonté de recherche de la vérité, mais malheureusement pour nous, nous ne vivons pas dans cet univers.


Comment admettre la provocation à la haine, l’injure ou même la diffamation ?

La liberté d’expression ne peut en effet jamais être inconditionnelle. Comment admettre la provocation à la haine, l’injure ou même la diffamation ? Lorsque la limitation de la liberté d’expression permet de garantir la protection de l’ordre public et des libertés fondamentales, cette dernière est bénéfique. Ces limites ne sont pas arbitraires, et le contrôle de cette liberté s’est toujours accrue avec un impératif de maximisation de cette dernière. Ainsi, la liberté d’expression républicaine permet de garantir la liberté d’expression la plus totale dans les limites de l’ordre public. Quelle ironie semble-t-il de brandir la République, autrement dit la même personne morale employée par tant de personnalités politiques de gauche comme de droite pour déblatérer je ne sais quelles inepties dirigées contre l’Islam, le wokisme, l’idéologie destructrice LGBTQI+…

La République a été instrumentalisée et ses grands principes dévoyés

Et pourtant ! La République a été instrumentalisée et ses grands principes dévoyés. Les principes républicains de liberté, d’égalité, de fraternité sont aujourd’hui portés en étendard sans que ne soient compris la portée de telles valeurs. La République garantie l’égalité et la protection de tous ses citoyens, peu importe leur identité.

L’universalisme porté par notre patrie est bien critiquable, il serait en effet sot de ne pas admettre les particularités situationnelles de certains individus, et de la nécessité de les accompagner au titre de leurs différences, mais il nous protège admirablement d’une idéologie destructrice, marquée de pleurs et de sang : le fascisme.

La République et sa justice ne sont pas exemptes de critiques, mais elles protègent

Toute condamnation au motif de la protection des limites de la liberté d’expressions n’a pas de caractère fasciste, et ces dernières sont encadrées par un cadre juridique admis par la volonté du peuple par le biais de ses représentants.

Faisons fi des propositions de certains qui souhaitent abolir la justice au profit d’une hyper-démocratieniant les droits fondamentaux, la justice et la stabilité et le contrôle qu’elle peut effectuer sur l’ensemble de la population ; fi de cette proposition qui revient à faire un trait sur l’État de droit, où il serait possible de voir ses droits révoqués sans possibilité de contestation.

Ceux qui se plaignent des décisions du Conseil d’État pendant la crise du covid-19 ayant approuvé les mesures liberticides du gouvernement ne doivent pas s’attendre à un paradis dans un monde sans contrôle de l’exécutif et de son administration. Les plus grands critiques de la République et de sa justice sont souvent les plus grands dangers pour celle-ci. Vous ne verrez par exemple aucun homme bien intentionné, lors d’une soirée, s’énerver à la vue d’une protection sur votre verre afin éviter toute tentative malveillante de vous droguer. Si une personne a une réaction négative à un outil de défense, il ne peut avoir de bonnes intentions.

L’existence d’un cadre de protection juridique face aux abus de la liberté d’expression est une évidence, mais reste encore à se demander quoi limiter

Faut-il uniquement condamner des menaces de morts, le harcèlement moral ou toute forme de violence verbale ayant pour objectif explicite de porter préjudice à la personne visée ? Ou faut-il oser dire non à des idées politiques, des propos, des prises de position fascistes ?

Le fascisme est souvent utilisé maladroitement à gauche pour désigner tout personne s’inscrivant à droite du spectre politique, ou présentant des idées réactionnaires. La droite n’est pas bien meilleure pour définir le fascisme, parfois utilisé pour critiquer les idées les plus progressistes de la gauche. Derrière le sens commun de ce mot, habilement flou, se cache une des idéologies les plus pernicieuses qui soient, et qui peut continuer à se diffuser sous nos yeux sans que nous disposions des bons outils pour la nommer.

Le fascisme est souvent utilisé maladroitement à gauche pour désigner tout personne s’inscrivant à droite du spectre politique, ou présentant des idées réactionnaires. La droite n’est pas bien meilleure pour définir le fascisme, parfois utilisé pour critiquer les idées les plus progressistes de la gauche.


Le fascisme, le voici. Cette idéologie qui a connu de nombreuses évolutions se définit comme une synthèse éclectique de courants conservateurs, qu’il est possible d’identifier en observant certains de ses piliers : le nationalisme, toujours accompagnée d’une connotation raciste (bien souvent appuyées par des thèses eugénistes), une forme de machisme radical avec ses corolaires (antiféminisme, homophobie, antisémitisme, impérialisme).

Lorsqu’on condamne le fondateur du Rassemblement National à 25 reprises pour apologie de crimes de guerre, provocations à la haine et à la discrimination, antisémitisme pour des injures publiques, dire de lui qu’il est fasciste ne pose aucune difficulté ; mais étonnamment, lorsqu’on condamne certains candidats prétendus à la présidentielle pour provocation à la haine (dont provocation à la haine religieuse), pour injure (dont injures raciales), pour dépassement des limites à la liberté d’expression, il semble plus difficile pour les médias traditionnels de reconnaitre le caractère fasciste de leur sujet préféré.

Il est impératif de lutter contre ce fascisme, ne le laisser s’inséminer nulle part comme il est si habile à faire, de le combattre jusqu’à le battre.

Il est une chose grave qu’aujourd’hui et il nécessaire de remettre en avant les fondations du fascisme et de pointer du doigt les éléments fascisants du discours public. Il est impératif de lutter contre ce fascisme, ne le laisser s’inséminer nulle part comme il est si habile à faire, de le combattre jusqu’à le battre.

Si ces idées sont irrecevables, que faire ?

Devons-nous ignorer ses interventions, les médias qui l’invitent et qui parlent de lui en continu ? Si nous faisons le pari de la censure, du silence alors nous jouons leur jeu, et la porte est ouverte pour qu’ils se positionnent en grands parias, incompris et haïs par le système. En n’en parlant pas, nous faisons leur promotion. Mais si nous en parlons, nous leur donnons de la visibilité. Ces figures sont si présentes que même sans les mentionner, il est tout à fait possible de les identifier. Alors où réside notre responsabilité et que devons-nous faire ?

Parler de leurs idées ne revient pas à les défendre, et le silence ne laissera qu’un vide médiatique qu’ils se feront une joie de combler. C’est bien leur terrain qu’il faut investir. Il faut mobiliser l’espace public autant qu’ils mobilisent. Il faut interpeller ceux qui indignent. Qu’avons-nous à perdre ?

Parler de leurs idées ne revient pas à les défendre, et le silence ne laissera qu’un vide médiatique qu’ils se feront une joie de combler. C’est bien leur terrain qu’il faut investir.

Nous savons ce que nous défendons, et l’impératif moral qui vient avec la lutte contre le fascisme. Nous défendons le camp de la raison, de la lumière, de la vérité historique face à l’obscurantisme voilé par un discours pseudo intellectuel. Les valeurs que nous défendons, apartisanes sont celles inscrites dans la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, dans l’histoire et les luttes menées pour l’autodétermination des peuples, leur libertés individuelles, pour un État de droit et pour l’égalité. N’oublions pas que l’antifascisme n’a rien de politique, et il est alarmant que cette idée soit si négativement connotée en société.

Nous avons une responsabilité de ne jamais laisser s’imprégner l’extrême droite, sa rhétorique et ses idées. Les sentiments qu’elle évoque aux français, qu’ils soient créés de toute pièces ou bien fondés, qu’ils soient alimentés par les plus viles considérations politiques ou par d’honnêtes observations, font peur et mobilisent. Il est nécessaire, non, capital d’offrir une réponse politique à ces problèmes.

Les réels problèmes soulignés par l’extrême droite sous un prisme fascisant, déformant la réalité au service de leurs intérêts, ne doivent pas être ignorés par l’échiquier politique.

Les réels problèmes soulignés par l’extrême droite sous un prisme fascisant, déformant la réalité au service de leurs intérêts, ne doivent pas être ignorés par l’échiquier politique. Au contraire, il faut bien une réelle dynamique de remise en perspective de ces enjeux, pour souligner les réelles causes de ces tensions. Nous ne devons pas faire preuve du moindre mépris, d’aucune haine contre les sympathisants qui ne font qu’écouter un discours qui semble faire vérité.


Toutefois, nous devons nous battre avec véhémence contre les idées qu’ils soutiennent

Nous vivons dans une ère d’incertitudes et de crises. La responsabilité de l’accession au pouvoir d’Hitler n’est pas une affaire de responsabilité populaire, elle est circonstancielle, ce sont tout un ensemble de facteurs qui lui ont permis d’accéder au pouvoir. En réalité, le peuple s’est laissé emporter par une vision du monde qui semblait faire sens. Mais nous ne sommes pas l’Allemagne de 1933, nous avons vécu les horreurs des fascismes européens, et avons été témoins des régimes fascistes de l’ensemble du XXe siècle. Nous avons découvert, à l’issu de la seconde guerre mondiale, la puissance destructrice de ces régimes, capables d’éradiquer des populations entières. Aujourd’hui, nous connaissons les signes de tels régimes, et nous les retrouvons au sein de la rhétorique d’extrême droite française.

Ces idées, qui ne sont rien que manipulations et ignominies, doivent laisser place à la réaffirmation des principes qui sont les nôtres, et il nous faut remettre la réalité au centre du discours public.

Sandrine Rousseau a tenté, à sa propre manière, d’apporter une vision davantage intellectuelle de la réalité, pratiquement universitaire. La démarche est respectable, mais l’exécution est contestable. Continuons sur ses pas, son approche à la politique est une piste de solution, puisqu’elle remet au centre de toute chose certaines réalités matérielles indiscutables.

Le seul outil contre le fascisme n’est pas politique, il est scientifique. Le seul combat contre le fascisme, ses idées et ses représentants s’effectuera toujours face à un camp, ni de droite ni de gauche, ni capitaliste ni communiste, ni nationaliste ni internationaliste, mais bel est bien unique, portant les couleurs de la vérité, du bon sens et du courage.


C’est parce que le fascisme effraie qu’il est vital d’oser agir et réagir. C’est parce que le fascisme n’a pas encore gagné qu’il arrive à s’exprimer aux côtés de nos idées. Si nous voulons continuer à nous exprimer librement, il faudra se battre, voter et faire voter pour éloigner ces idéologies de nos institutions. La démocratie est une chose fragile, et il faut la défendre. A ce titre, c’est parce qu’il est toujours plus simple de se battre lorsqu’un des plus grands risques de la lutte contre le fascisme est de recevoir des insultes, parce que nous ne vivons pas dans un régime fasciste où élever la voix revient à prendre le risque d’être réprimé, emprisonné, ou pire qu’il faudra faire le bon choix en avril 2022.

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Montée de l’extrême droite, descente des anti-fa

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