Créer aujourd’hui
Créer aujourd’hui. Créer malgré les conditions sanitaires, malgré les morts, créer malgré tout. Ce fut la volonté d’Aurélie Dupont, des danseurs de l’Opéra de Paris et de quatre chorégraphes qui ont accepté de répondre à la question suivante : Qu’est-ce créer aujourd’hui ?
Damien Jalet, chorégraphe franco-belge, fait partie de ces derniers. Sa création, intitulée Brise-lames nous transporte dans un univers marin, s’animant au rythme des vagues, rythme qui n’est pas sans rappeler la succession de vagues épidémiques que nous subissons depuis bientôt deux ans. Le terme brise-lames laisse ainsi libre court à notre imaginaire.
Créer en résonnance avec l’actualité
Il désigne en réalité une construction (un épi, une digue ou une jetée) établie devant un port, une zone aménagée, une plage ou un littoral vulnérable à l’érosion. Il protège contre la houle du large en la faisant briser en avant du plan d’eau. Il a donc pour vocation de protéger les plus vulnérables au même titre que d’atténuer la force de « l’envahisseur ».
Chaque acte résonne sur un autre individu comme une contagion ou une complémentarité nécessaire à l’existence de chacun.
Difficile alors de ne pas continuer cette comparaison avec la pandémie qui nous attaque et contre laquelle notre seul brise-lame réside dans les soignants, dans cette première ligne qui s’est sacrifiée pour le reste de la population mondiale. Une grande partie du ballet est d’ailleurs dansée sur une même ligne, sur laquelle chaque mouvement individuel est justement transmis à un autre individu de manière systématique. Chaque acte résonne sur un autre individu comme une contagion ou une complémentarité nécessaire à l’existence de chacun.
Une métaphore de l’équilibre entre individuel et collectif
Damien Jalet recrée tour à tour sur la scène de l’Opéra Garnier une tempête, des scènes de contagion ou de naufrage.
Le tout est filmé, cadré, réalisé, pour que nous, spectateurs assis depuis notre salon, puissions entrer dans cet univers, pour que le lien avec le public soit recréé, pour que la culture dépasse les barrières imposées. Plus qu’un hommage à notre première ligne, il semblerait que Damien Jalet ait ici filé une métaphore de l’équilibre entre individuel et collectif, d’un juste milieu qu’il faudrait atteindre pour que notre société puisse avancer. D’une solidarité qui serait indispensable pour maintenir ce lien entre individus et ainsi créer le collectif.
Ce brise-lames apparaît alors comme vecteur de résilience, de vulnérabilité et de nécessaire solidarité.
Ce brise-lames apparaît alors comme vecteur de résilience, de vulnérabilité et de nécessaire solidarité. C’est cette solidarité qui permet aux multiples corps individuels de devenir un seul et même corps collectif. C’est cette solidarité qui permet de transformer la société en un organisme qui ne serait pas seulement composé d’un corps, mais aussi d’une âme. Une âme qui aurait conscience de la nécessité d’interconnexion avec les autres, qui aurait conscience que la société n’est pas seulement mécanique mais aussi et surtout organique au sens durkheimien du terme.
© JR, Julien Benhamou
Au regard de cette pièce, créer aujourd’hui serait une invitation à poser un regard sur l’actualité et à s’en imprégner. Les corps du danseur et du chorégraphe deviennent perméables au monde, absorbent ce qu’il a de beau et de moins beau pour transmettre, dénoncer et pousser à l’action. Pour ces derniers, créer est ainsi une nécessité. Une nécessité de faire ressortir des émotions mais aussi le résultat d’un appel à vivre dans une société organique, complémentaire et solidaire.
Bouteille à la mer remplie d’espoir, cette image ne chercherait-elle pas à nous rappeler que nous, individus membre d’un collectif nommé société, sommes notre propre bouée de sauvetage ?
La pièce se termine par un canot de sauvetage formé par les corps des danseurs allongés sur le sol.
Bouteille à la mer remplie d’espoir, cette image ne chercherait-elle pas à nous rappeler que nous, individus membre d’un collectif nommé société, sommes notre propre bouée de sauvetage ?
Faustine Régnier