Les attentats du 13 novembre, un traumatisme collectif disséqué sur grand écran

Le vendredi 13 novembre 2015, vers 21h20, pendant un match entre la France et l’Allemagne, deux explosions retentissent successivement aux abords du Stade de France. Deux terroristes viennent de se faire exploser à l’extérieur du bâtiment.

D’autres feront bientôt feu sur des Parisiens attablés aux terrasses de cafés et de restaurants dans le Xème arrondissement, où ils sèment la panique et abattent des dizaines de personnes à l’arme de guerre. Au même moment, un autre commando fait irruption, en plein concert, au Bataclan où jouait le groupe de rock Eagles of Death Metal. Si des motivations religieuses seront plus tard revendiquées par l’Etat Islamique, ces attentats ont également des fondements politiques. «C’est la faute de Hollande (ndlr : le président de la République ayant ordonné les frappes en Syrie contre le régime d’Assad), il n'a pas à intervenir en Syrie » déclarait ainsi Salah Abdeslam, membre de la cellule terroriste du Bataclan lors de son procès. 

Les forces de l’ordre tentent de répliquer depuis l’extérieur, mais elles ne disposent pas du matériel nécessaire pour faire face à la puissance de feu des attaquants. A minuit, François Hollande s’adresse au pays à la télévision. L’assaut du Bataclan est donné à minuit et demi. Entre-temps, sur les lieux des massacres et dans les quartiers alentour, les habitants sont confrontés à des scènes d’une violence inouïe. De nombreux survivants décrivent ces autres qui tombent autour d'eux “comme des dominos”. Autour du Bataclan, des blessés sont transportés par ceux qui ont réussi à s’échapper dans les appartements les plus proches, où on s'entasse à vingt, trente, cinquante !

Victimes prises en charge par les secours rue Oberkampf, près du Bataclan, le 13 novembre 2015- AFP

Au total, ces attaques coordonnées ont fait 131 morts, 350 blessés et des victimes psychologiques encore plus nombreuses. Il s’agit des attentats les plus meurtriers que le pays ait jamais connus.

La longue enquête et l’instruction judiciaire qui suivirent ont débouché sur un procès historique qui s’est tenu cette année. Fin juin, tous les accusés ont été reconnus coupables par un verdict qu’aucun d’entre eux n’a souhaité contester. La décision de justice, bien qu’éminemment nécessaire, n’a pas pour autant tout réglé du côté des mémoires.

En effet, même sept ans après, ces événements constituent toujours un marqueur majeur de la mémoire collective. Sous une vidéo résumant le déroulé de cette nuit d’horreur, un commentaire anonyme décrit la prégnance des souvenirs, malgré tout le temps écoulé : « Comme un traumatisme tout remonte à la surface ».

Peut-on parler d’un traumatisme collectif ?

Il est indéniable que le 13 novembre 2015 a marqué en profondeur la mémoire de toute la France. Mais, s’agit-il partout d’un traumatisme ? Cette question suscite un important débat épistémologique.

L’existence de traumatismes (du grec trauma, blessure) individuels, consacrée après la guerre du Vietnam et ses graves séquelles psychologiques, a permis de théoriser un équivalent collectif. La notion de traumatisme collectif constitue donc, depuis les années 80, une catégorie de pathologie de la mémoire collective. Il se concentre sur les conséquences sociales des “passés qui ne passent pas” à l’instar de la Shoah ou de la France de Vichy.

Sans établir de parallèle entre les événements en eux-mêmes, chacun peut admettre la force des souvenirs des attaques de 2015, qui même des années après n’ont pas disparu. C’est cette prégnance qu’a la tragédie dans les mémoires qui explique la mobilisation fréquente du concept de traumatisme collectif dans les médias.

Certains psychiatres contestent pourtant l’utilisation de cette expression dans le contexte des attentats de 2015 pour des raisons terminologiques, à l’image de Louis Crocq. Ce médecin généraliste, psychiatre de l’armée déclarait ainsi dans un entretien pour le magazine Sciences Humaines : “Le traumatisme découle de la confrontation directe avec le réel de la mort. Peuvent être traumatisées les personnes qui ont été en contact avec la scène, le jour J : les survivants, les témoins, les secouristes, les forces de l’ordre, etc.

L’incarnation de cette mémoire au cinéma

Récemment, le cinéma français s’est emparé de ce sujet difficile. C’est le cas du film Novembre de Cédric Jimenez. Pour certains, il était trop tôt pour que la fiction incarne cet épisode et la question d'être “prêt” à aller le voir s’est alors posée.

Dans un style très factuel, quasi-documentaire, cette plongée fictionnelle au cœur de la Sous Direction Anti Terroriste retrace les 5 jours qui ont suivi les attaques et la traque des 2 terroristes en fuite, dans une urgence omniprésente. Les attentats marquent le point de départ de l’intrigue mais ils ne sont jamais montrés. Le chaos, le déferlement de panique qu’ils provoquent sont représentés par un bruit, en l'occurrence des dizaines de téléphones qui sonnent, qui submerge personnages et spectateurs. Pour autant, l’émotion est loin d’être absente du film. Les images de Paris fréquemment utilisées et particulièrement précises, renvoient n’importe quel habitant de la capitale à la réalité de sa vie quotidienne. A travers le cinéma, il s’agit de se réapproprier notre espace de vie qui a été gravement blessé et endeuillé il y a sept ans. Cette blessure se fait littérale lorsque l’histoire nous confronte aux victimes directes des attentats.

Tout en conservant un point de vue pleinement externe (pas de flashbacks des personnages interrogés), elle provoque une identification, par empathie et quasi-immédiate qui met en évidence l’unanimité de la douleur face à cette expérience tragique. L’idée que nous étions toutes et tous des victimes potentielles rend impossible la rationalisation et la mise à distance du traumatisme que racontent ces dernières, même pour les enquêteurs. Ainsi la violence inouïe de l’assaut final, digne d’un film de guerre, a presque une valeur cathartique. Le caractère collectif de l'épreuve mis en avant par la fiction, Jean Dujardin, qui tient le rôle principal, l’a réaffirmé dans une interview pour Allociné, le 7 novembre dernier : « On est dans un film totalement collectif. (...) On est c’est vrai au service, d’abord, d’un événement ».

Images ©Unifrance

Si la qualification de traumatisme collectif est une formule journalistique alléchante pour résumer l’horreur et l’impact des attentats du 13 novembre 2015, elle ne fait pas l’unanimité parmi les spécialistes de la question. Les traces profondes qu’ont laissé ces attaques dans la mémoire collective ont néanmoins grandement impacté la cohésion de la société, notamment en remobilisant l’idée fondatrice d’une opposition systématique à un Autre qui serait un agresseur potentiel. Elles ont aussi largement suscité l’émergence de réactions passionnelles de haine et de peur, comme des réponses simplificatrices face à une violence qu’une grande partie de la société n’arrive pas encore à gérer. L’utilisation par le cinéma de ces événements tragiques comme matière fictionnelle, constituerait-elle une voie pour parvenir à transcender ces peurs ?


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