Dave, un rappeur engagé sur tous les fronts

A l’heure où les rappeurs américains mais aussi français dominent les charts du monde entier malgré des textes auxquels est parfois reproché le manque de sens et de prise de position, c’est un Anglais qui semble réinventer un rap engagé et audacieux tant d’un point de vue musical que politique. Son nom ? David Orobosa Omoregie, plus connu sous le nom de Dave. S’inspirant d’une enfance tourmentée au sein d’une famille divisée, le Britannique de 24 ans livre des textes touchants, intelligents, sans pour autant oublier des rythmes entraînants et des instrus originales. Zoom sur quatre de ses chansons passées sous les radars à écouter impérativement pour plonger dans le monde souvent torturé mais toujours génial de l’artiste londonien.

@santandave

Lesley (feat Ruelle)


On commence par un son qu’il vous prendra du temps d’écouter, 11 minutes et 8 secondes pour être précis, mais il vaut le détour. En collaboration avec la douce voix de l’Américaine Ruelle, Dave réalise probablement son morceau le plus touchant. Sur un rythme lent et doux, il raconte une histoire digne d’un scénario de Palme d’Or. Dès son premier album, “Psychodrama”, le britannique évoque l’un des sujets les plus au cœur de l’actualité, les violences conjugales. Après plus de huit minutes durant lesquelles il évoque sa rencontre avec Lesley, victime d’un compagnon violent et la descente aux enfers de la jeune femme. Il finit par utiliser sa chanson comme une vitrine pour dénoncer de ses propres mots ce fléau et encourager les victimes à se faire aider. Bien qu’il ne soit pas le plus entraînant de la discographie de Dave, ce morceau fort et intime est un véritable manifeste face auquel il est impossible de rester insensible. Notamment lorsqu’il évoque avoir été lui-même témoin de telles violences.

Psycho


Ce n’est pas un hasard si “Psycho” est le premier morceau de son premier album, “Psychodrama”. Au contraire, Dave met immédiatement les choses au clair et ne présente pas un projet comme les autres mais un véritable concept. Ce son constitue une forme de préface à un album hors du commun. On y entend d’abord la voix de celui qui interprète tout au long de l'album son thérapeute et interroge le rappeur sur ce qu’il aimerait aborder dans cette toute première séance. Désabusé, Dave répond en demandant “How do you stop all the pain, huh ? ”, “Comment arrêter toute la douleur ? ”. Cette phrase donne le ton du morceau et de l’album tout entier : dur mais aussi intime et touchant. En à peine plus de 4 minutes, le rappeur de Streatham, au sud de Londres, balaie, à sa façon, des problématiques intimes comme ses parents, sa vie affective, son travail, qui touchent à l’universel. Dans ce morceau rempli de tristesse et de colère, Dave n’utilise pas des refrains mais plutôt des couplets désorganisés qui ne suivent guère que le flow agressif du rappeur. Sa réflexion aboutit, à défaut de trouver une réponse à la question de départ, à en écarter une : “suicide doesn’t stop the pain, you only move it” ou “le suicide n’arrête pas la douleur, il la déplace seulement”. La dernière phrase du morceau constitue en quelque sorte une invitation faite à son public et à lui-même à ne pas se juger “I ain’t psycho but my life is”, “je ne suis pas un psychopathe mais ma vie l’est”.



Question Time


Dave n’est pas qu’un parolier hors pair et un rappeur de génie puisqu’il dispose également d’une conscience politique qui lui permet d’aborder les thèmes chauds du moment avec davantage d’expertise que certains “spécialistes”. Dans ce morceau extrait de son EP “Game Over”, on découvre un artiste direct et courageux qui n’hésite pas à interpeller directement les leaders politiques du monde entier, de David Cameron à Donald Trump, d’où le titre plutôt provocateur que l’on pourrait traduire par “l’heure des questions”. Il y soulève d’importantes interrogations, critiquant vigoureusement le passé colonial britannique et l’hypocrisie de dirigeants qui n’ont jamais le courage d’assumer la responsabilité de l’État dans les crises qui touchent d’anciens territoires impériaux comme la Somalie ou la Syrie.

Dans ce titre de 2017, le rappeur d’origine nigériane se montre également très sévère avec la politique intérieure des différents gouvernements anglais, qui, selon lui, “galèrent à prendre soin d’une personne qui prend soin des personnes”, en l'occurrence sa mère, une infirmière seule et aux revenus insuffisants. S’il vous faudra à nouveau prévoir plus de sept minutes pour cette chanson, elle est un immanquable de sa discographie et le rythme soutenu de même que les jeux de mots bien sentis ne font qu’apporter au propos ô combien intelligent.





Black


Vous connaissiez peut-être les performances mythiques sur scène de Jacques Brel ou Eminem. Celle de Dave avec “Black” aux Brit Awards de 2020 n’a rien à envier aux plus grands. Si vous aviez un doute concernant le cran du garçon, ce grand moment de musique achèvera de vous convaincre. A 22 ans, il se dresse sur la scène de l’une des plus prestigieuses cérémonies du monde musical britannique et, non content d’impressionner par ses qualités de lyriciste et de rappeur, règle ses comptes avec le Premier ministre Boris Johnson, qu’il traite ouvertement de “vrai raciste”, et tout un système face auquel il ne peut rester silencieux. Ce n’est pas une coïncidence si Santan Dave, comme il se fait aussi appeler, choisit cette chanson pour diverger sur ce sujet qui lui tient tant à cœur. Dans cet hymne au Black Power, le londonien combat activement le racisme, qui gangrène la société et pourrit la vie de millions de personnes, en détruisant clichés et amalgames mais aussi et surtout en criant sa fierté d’être noir. Une fois encore, Dave adopte la recette habituelle en associant talent, intelligence et courage pour impressionner et inspirer bien au-delà du monde de la musique.





Gareth Cattermole/Getty Images

On pourrait continuer des heures à parler d’un rappeur aussi polyvalent que Dave mais le temps presse. Si vous voulez rester sur le thème de l’artiste conscient des problèmes de son époque, penchez-vous sur “Streatham”, “We’re all alone in this together” ou encore “In the fire”. Si, par ailleurs, vous préférez un moment de détente au son de la douce voix du britannique, “Disaster”, “System”, “No words” ou bien sûr de plus gros succès comme “Location” ou “Starlight” sauront vous ravir.





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