Crochet 2.0 : comment les jeunes réinventent une maille oubliée.

Longtemps considéré comme « un truc de mamie », le crochet revient en force chez les moins de 30 ans. Boosté par TikTok et les confinements liés à la crise sanitaire du Covid-19, il devient à la fois une échappatoire à l’anxiété, un moyen d’expression et une alternative artisanale au prêt-à-porter industriel. Une génération entière redonne du sens au geste manuel.

Rencontre avec Joana Borges Da Fonseca, étudiante de 20 ans qui partage sa passion et ses créations sur le site de vente d’artisanat en ligne Etsy. 

“J’ai cherché une activité pour me vider la tête.” 

Quand elle parle de ses débuts, Joana a le sourire. « Ma mère m’a appris à tricoter quand j’étais petite », raconte-t-elle.

« Mais c’est au lycée, en seconde, que j’ai vraiment repris. L’arrivée au lycée m’angoissait beaucoup, et j’avais besoin de m’occuper les mains. En cherchant des idées sur YouTube, je suis tombée sur le crochet... et depuis, je n’ai jamais arrêté ! ». Joana incarne ce retour générationnel vers les loisirs manuels, et elle n’est pas la seule.


Ce geste simple, beaucoup de jeunes l’ont adopté depuis 2020. Le rapport The Power of Making de Hobbycraft (2025) souligne que les 18-29 ans sont aujourd’hui l’une des tranches d’âge les plus investies dans les activités manuelles, en grande partie parce qu’elles sont perçues comme bénéfiques pour le bien-être et la gestion du stress. Le phénomène a été amplifié par les réseaux sociaux : le hashtag #crochet cumule plus de 54 millions de publications sur Instagram. Sur TikTok, il dépasse les 13,9 milliards de vues. Le crochet n’est plus un passe-temps discret : il est devenu un phénomène viral en l’espace de quelques années. 

Tisser du lien, maille après maille 

Si Joana continue, c’est aussi grâce à celles et ceux qu’elle a rencontré·es derrière son écran. « La communauté autour du crochet est super bienveillante », explique-t-elle. « Tout le monde s’entraide et partage ses patrons gratuitement. » Des jeunes créateur·ices filment leurs réalisations, expliquent leurs techniques, racontent leurs débuts. Certaines vidéos dépassent le million de vues. Les tutoriels explosent. Ce mode de partage entre jeunes a permis de transformer un savoir-faire solitaire en un espace d’échange collectif. Les débuts deviennent simples, accessibles, ludiques.

« On ne peut pas rivaliser avec Temu... »

Au-delà du plaisir, Joana a ouvert sa boutique sur le site de vente d’artisanat en ligne Etsy : @musycrochet. Elle y vend des méduses miniatures, des bouquets, ou ses cadres “tapestry” inspirés de pochettes d’albums. Mais elle avance avec lucidité. « Pour l’instant, j’ai vendu surtout à des proches », confie-t-elle. « La concurrence est rude, entre les autres artisan·es et la fast- fashion qui vend du crochet à prix cassé. ».

Le problème est global. Le Guardian relève en 2024 que de nombreuses marques surfent sur la tendance du crochet en produisant des versions bon marché, souvent fabriquées à la main dans des conditions peu transparentes. La concurrence est donc directe. Et inégale. Résultat : les petit·es créateur·ices peinent à s’en sortir. « Les prix des matériaux sont élevés, et certaines personnes ne se rendent pas compte du temps qu’on met à finir une création », regrette Joana. « La laine coûte cher, et on vit dans la France de Macron... donc les gens achètent sur Temu, c’est inévitable. » 

« C’est mon remède maison contre l’anxiété » 

Si elle persiste malgré tout, c’est parce que le crochet l’aide à tenir. « J’ai commencé pour calmer mes angoisses, et encore aujourd’hui, ça m’aide à me focaliser sur ce que je fais plutôt que sur ce qui m’inquiète », dit-elle. D’après le Craft Council UK Report (2024), près de 70 % des jeunes artisan·es considèrent le crochet comme bénéfique pour leur santé mentale. Ce sentiment, Joana le résume simplement : « Ça me procure une immense satisfaction de fabriquer plein de petites choses que j’aime moi-même tout en apaisant mes pensées. »

Le parcours de Joana reflète une tendance plus large. Le crochet attire de plus en plus de jeunes qui cherchent une activité simple et techniquement accessible, qu’on peut apprendre rapidement grâce aux tutoriels en ligne. Une pratique manuelle qui répond à la fois à l’envie de créer, de ralentir et d’échapper au rythme accéléré de nos sociétés. Pour certain·es, il offre aussi une alternative à une mode industrielle toujours plus rapide. Ce n’est pas nécessairement un engagement militant, mais un choix : fabriquer soi-même plutôt que de consommer du prêt-à-porter jetable. Joana constate le changement autour d’elle : « Les gens s’y mettent de plus en plus. On voit du crochet partout, dans les séries, dans la mode, sur TikTok. Ça montre que ça plaît encore. »

Le crochet n’est plus un loisir oublié. Sa popularité dit quelque chose d’une génération qui veut ralentir, créer autrement, s’éloigner d’une consommation rapide. Entre évasion et réappropriation du fait-main, iels transforment un geste ancien en un véritable mouvement générationnel.

Lise Manni

Suivant
Suivant

Recommandations du mois de novembre