Collages féministes : porter les violences invisibles aux yeux de tous.tes
Elle s’appelait Chahinez Daoud, elle avait 31 ans et 3 enfants. Ce mardi 4 mai, c’est avec effroi que la France découvre le 39ème féminicide de l’année. Elle s’appelait Chahinez et elle avait porté plainte pour violences conjugales mais rien n’y fait, son mari l’a assassinée en pleine rue. Elle s’appelait Chahinez mais elles s’appelaient aussi Bettina, Brigitte, Joëlle, Aïssatou, Jennifer ou Florence.
En 2020, c’est 98 femmes qui ont été tuées sous les coups de leur mari, ex ou conjoint. Au jour du 7 mai 2021, elles sont 39.
Leur rendre hommage et porter leur nom, ne plus les laisser mourir sans rien dire : c’est le choix de nombreux.ses colleur.euses depuis 2018.
Le mouvement des colleur.euses ou « Collages Féminicides » est né en 2018 sous l’impulsion du Marguerite Stern, ancienne Femen, avec pour objectif de dénoncer à la fois les féminicides mais aussi toute la culture du viol présente dans notre société.
Si aujourd’hui la créatrice du mouvement est plus que controversées en raison d’accusation de propos jugés transphobes, le mode d’action militant féministe par les collages reste à son initiative.
Des lettres noires peintes sur des feuilles blanches pour accuser
Vous les avez sûrement déjà croisés. Ils interrogent au premier abord, ils intriguent ensuite. Vous ne les remarquez peut-être déjà plus. Ils sont vecteurs de haine pour certain.es qui les décollent. Ils en rassurent d’autres qui se sentent en sécurité quand ils/elles les aperçoivent. Les collages sont partout désormais. Dans les rues de toutes les villes de France, ils sont devenus un élément de notre espace public.
Ils recouvrent les murs des messages en tout genre qui évoquent l’actualité ou visent à dénoncer l’ensemble des oppressions liées au genre. Leur but étant d’alerter et d’informer les passant.es sur des sujets bien trop souvent oubliés. « « Papa il a tué maman » devant une école maternelle cela choque bien sûr mais ce n’est rien à côté d’un féminicide » affirme Margaux*, colleuse depuis quelques mois au sein du mouvement.
« Avant tout ce mouvement nous permet de se réapproprier l’espace public, poursuit Margaux*, la plupart des discriminations nous les subissons dans la rue ; on nous fait comprendre qu’en tant que femme ou personne issue des minorités nous ne sommes pas les bienvenues alors coller sur les murs des messages nous permet d’affirmer que la rue est aussi à nous. »
Le collage permet de rendre visible l’existence de tous.tes et de mettre en lumière les discriminations qui peuvent être subies au sein de notre société. En premier lieu, il sert à dénoncer les violences et l’ensemble de la culture du viol existante mais il est aussi vecteur d’une forme de force et de libération pour les colleur.euses.
Cette nouvelle forme d’action militante présente plusieurs points qui ont séduit l’ensemble des colleurs.euses.
« Avant tout c’est une action concrète, affirme Margaux*, on a l’impression de réellement servir à quelque chose. D’autant plus quand les gens nous applaudissent ou nous félicitent dans la rue.»
Cette forme d’action est aussi désormais facile d’accès étant donné qu’il suffit d’être trois et de posséder du papier, de la peinture et de la colle à papier peint. « C’est quelque chose de facile à faire et qui nous donne un réel pouvoir. On n’a plus besoin d’être réellement nombreux et nombreuses pour mettre en lumière nos revendications et nos discriminations ».
Image: francetvinfo.fr
Une action militante en mixité choisie
Aujourd’hui pour rejoindre les colleuses, il ne faut pas être un homme cis genre. Si cette mesure peut être considérée comme drastique et extrême pour certain.es, les militant.es justifient leur volonté sur Instagram en plusieurs points.
Le mouvement des collages est un mouvement qui incite les femmes et minorités de genre à se réapproprier l’espace public, quand un collage est réalisé, les rôles dans l’espace s’inversent. Le collage modifie l’environnement alors que ce dernier est souvent porteur de craintes et harcèlement pour les femmes et minorités de genre.
Par ailleurs, les colleur.euses ont la volonté de créer un espace « safe » de toutes discriminations. Leur souhait s’exprime en retirant les hommes cis de la lutte par les collages afin de libérer la parole et créer un espace ou chacun.e ne se sent pas oppressé.
Enfin, les colleur.euses affirment que la mixité choisie est nécessaire à leur mouvement en particulier. Cependant, si un homme cis souhaite réaliser des collages, personne ne l’en empêche du tant que sa présence n’est pas imposée et qu’il ne prenne pas toute la place dans la lutte féministe.
L’action du collage reste cependant illégale et est punie d’une amende de 68 euros par colleur.euses qui se fait arrêter.
« Ce n’est pas une amende qui nous arrêtera, nos oppressions sont supérieures à cela. » conclue Margaux*
Elles s’appelaient Chahinez, Fatiha, Stéphanie, Raymonde, Mélissa, Laure, Janina, Valérie ou Barbara. Elles sont parfois anonymes, elles ne sont pas comptées souvent. Mais leurs existences ne sont pas vaines pour autant, c’est en écrivant leurs noms sur les murs que les colleur.euses ont décidé de les faire exister.