Pékin 2022: entre enjeux géopolitiques et jeux olympiques

Le week-end dernier, la ronde formée par les athlètes tricolores clôturait cette quinzaine des Jeux olympiques d’hiver. S’ils nous semblent déjà loin, les médaillés français rentrent au pays avec de très beaux souvenirs, mais aussi un poids métallique en plus. Poids qui nécessiterait pour certain un supplément de bagages : 5 médailles, ça pèse lourd !

Ces Jeux n’avaient pourtant pas commencé sous de bons auspices. Covid, boycotts diplomatiques, Etat autoritaire, génocide, aberration écologique, sportwashing, autant d’explications légitimes pour parler de ces « Jeux de la honte », selon l’expression emprunter aux Jeux de Berlin en 1936. Ces enjeux politiques, climatiques et de droits humains sont bien sûr primordiaux, notamment lorsque les médailles remportées viennent adoucir le constat. « Finalement ces Jeux sont-ils si mauvais ? Nous avons remporté des médailles ».

Le choix controversé de Pékin

Mais la première question que l’on peut se poser quand on analyse ce traitement médiatique pré-jeu est : pourquoi le comité olympique russe a-t-il choisi Pékin ? Le site de Yanqing était déjà connu pour son peu d’enneigement, malgré la température glaciale.

Et bien, d’abord parce que les dossiers pour accueillir les Jeux sont de moins en moins nombreux. Après le fiasco économique des Jeux d’Athènes en 2004, les sommes déboursées par la Russie à Sotchi en 2014, et bien d’autres exemples encore, ont fait passer l’envie à plus d’une candidature. De plus les Jeux d’hiver, de plus en plus populaire, connaissent une forte croissance du nombre d’athlètes : s’il y avait 1000 athlètes à Sapporo en 1972, 40 ans plus tard, il y en a plus du double, ainsi 2874 athlètes étaient alignés au départ des 109 épreuves dans 15 disciplines. Résultat : pour l’organisation des Jeux olympiques d’hiver en 2022, le CIO ne reçoit que deux candidatures : Pékin et Almaty (Kazakhstan).

Le choix se porte alors sur Pékin, malgré son très faible enneigement mais grâce à sa capacité à « afficher des températures suffisamment basses sur une durée assez longue » et accueillir un grand public, pour le CIO « L’objectif-clé de Pékin 2022 c’est d’attirer 300 millions de personnes vers les sports d’hiver ». Il va sans dire que cet objectif-clé a été défini avant la pandémie de covid-19, venue calmer les ardeurs du CIO en termes de public.

La réponse radicale de la Chine à la pandémie s’est aussi imposée lors de l’organisation des Jeux Olympiques. Le protocole sanitaire était drastique, et détaillé par Josselin Dubraux, journaliste sur place lors de la quinzaine : "Pour pouvoir pénétrer à l'intérieur de la bulle sanitaire, il faut deux tests PCR négatifs et avoir fait prélever sa température pendant les 15 jours précédant le départ. Une fois sur le sol chinois, il vous faut désormais un test PCR buccal et un test PCR nasal" (France TV info). Ce règlement imposé aux athlètes et aux journalistes était accompagné d’une interdiction de public étranger, et d’un autre protocole restrictif pour le public chinois.

Le choix de Pékin s'explique aussi par la facilité qu’apporte un régime autoritaire sur la question d’organisation d’évènements de telle ampleur. Alors que la démocratie peut paraître lente et procédurale lorsqu’il faut l’accord de parlementaires ou d’autres organisations, l’autoritarisme est rapide : le chef décide, la société obéit.

L’apolitisme que défend le CIO et les autres instances sportives internationales ignore cette question défendant une séparation entre compétitions sportives et politique menée par un gouvernement. Cependant, les exemples de ces dernières années ont souligné cette tendance à l’organisation d’évènements sportifs par des gouvernements aux pratiques démocratiques déviantes, voire pas démocratiques.

Pour ne citer que quelques exemples : la coupe du monde de foot (2014) et les Jeux olympiques (2016) à Rio, Jeux olympiques d’hiver (2014) et coupe du monde de foot (2018) en Russie, Jeux olympiques de Pékin, Coupe du monde 2022 au Qatar.

Ces exemples soulignent aussi la volonté de certains pays de miser sur le sport afin d’améliorer leur image. Cette pratique a un nom : le « sportwashing », pratique qui définit la façon dont un Etat utilise le sport pour redorer son image à l’internationale, en essayant de faire oublier le bilan anti démocratique du gouvernement (Amnesty internationale).

Le sport au coeur des enjeux géopolitiques

Le bilan environnemental de ces Jeux pose aussi question. Dans un pays où les sports d’hiver ne sont que peu développés, il a fallu créer toutes les infrastructures : tremplins, stades, pistes… La candidature de Pékin prévoyait aussi 100 % de neige artificielle. Un point qui a fait parler ces derniers mois, mais qui était cependant prévu depuis plusieurs années. Il ne faut cependant pas se voiler la face, le problème de l’enneigement des stations de sports d’hiver n’est pas apparu avec les Jeux de Pékin, des kilomètres de pistes sont enneigés artificiellement tous les ans dans toutes les stations de ski : canon à neige, neige héliportée, tous les moyens sont bons pour vous permettre de profiter de vos vacances, que vous attendez depuis plusieurs mois.

Les Jeux de Vancouver et de Sotchi, deux villes du littoral, avaient aussi eu recours à des quantités de neige artificielle, devant être créées tous les soirs alors que les températures avoisinaient les 10°C en journée. Donc s’il est a déploré le coût environnemental de l’enneigement 100 % artificiel de ces olympiades de Pékin, il faut aussi prendre en compte l’incapacité d’organiser des olympiades avec un enneigement 100 % naturel.

Enfin, avant même l’arrivée des athlètes sur le lieu de la compétition, les Jeux de Pékin ont souligné l’importance géopolitique d’aussi grands événements sportifs. Le 6 décembre 2021, le président des Etats-Unis annonce le boycott diplomatique des jeux de Pékin pour protester contre l’exploitation des Ouïghours. Si cette décision des Etats-Unis voulait assurer le rôle qu’ils ont pris depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale de leader des démocraties libérales, protecteurs des droits humains, elle montre surtout la faiblesse de ce pays .

L’exploitation des Ouïghours, orchestrée par l’État chinois, est au service d’un capitalisme sans limite. Les vêtements, téléphones, ou tout autres biens achetés par les consommateurs américains à des prix si bas sont produits grâce à la complicité des grandes marques profitant d’une main d’œuvre « docile » et « bon marché ». L’État américain, première puissance mondiale, est cependant impuissant face à ces multinationales et à sa propre population, avide de biens à des prix toujours plus compétitifs sans prendre en compte le coût humain et écologique de la production. Face à cette impuissance d’action, le gouvernement américain décide donc de parler le plus fort en déclarant ce boycott diplomatique, qui ne sera suivi que par un nombre limité de pays.


Bien sûr, une fois les Jeux terminés, même si nous pouvons nous interroger sur la réponse que va apporter la Chine au boycott diplomatique américain, tout cela semble déjà loin. L’heure est à la célébration des vainqueurs, qui comme par magie occultent les litres d’eau dépensés en enneigement et la situation extrêmement préoccupante des Ouïghours, car oui, je vous spoile peut-être, mais le boycott diplomatique n’a pour l’instant eu aucun effet sur l’amélioration de leurs conditions de vie. Il a tout au mieux apporté une importance médiatique au sujet.

Ils nous ont éblouis : une délégation française en or

Ils nous ont fait rêver, à nous faire oublier notre soutien habituellement sans faille à la Fédération Française de la Lose (FFL), fédération de soutien aux presque vainqueurs, ou aux défaites avec panache.

Ils étaient attendus, ils ont répondu présent, premiers pourvoyeurs de médailles : les biathlètes. Guidés par le fils spirituel de Martin Fourcade : Quentin Fillon Maillet. L’élève dépasse même le maître en remportant 5 médailles : le record de médailles rapportées en une olympiade en biathlon. Quentin Fillon Maillet revient avec l’or (individuel et poursuite) et l’argent (relais homme, relais mixte, sprint).

En finissant 4e de la mass start (départ groupé), il passe cependant à une place près d’un « grand chelem » : un podium pour toutes les courses sur lesquelles il était aligné. Mais on ne peut pas en vouloir à « QFM », qui ira maintenant chercher le globe de la Coupe du monde de biathlon. Anaïs Chevalier Bouchet et Justine Braisaz Bouchet ajoutent 2 médailles au tableau du biathlon, respectivement l’argent en individuel et l’or sur la mass start. Sans oublier les membres des relais.

En relais mixte : Anaïs Chevalier Bouchet, Emilien Jacquelin, Julian Simon et Quentin Fillon Maillet qui rapportent et en relais masculin : toujours Quentin Fillon Maillet, Emilien Jacquelin Fabien Claude et Simon Desthieux, qui gagnent l’argent sur les deux épreuves.

Eux aussi étaient attendus, ils avaient une revanche à prendre. Ils ont tous gagné tous les titres sauf un : l’or olympique. Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron ont une fois de plus fait parler leur magie sur la glace. Rapporter l’or oui, mais l’or avec la manière : ils battent leur propre record du monde en danse rythmique.

Il rapporte aussi un titre olympique, malgré quelques déceptions en ski alpin, Clément Noël a fait résonner la Marseillaise à la cérémonie de remise des médailles en slalom.

Tess Ledeux, et le site de freestyle de Pékin, Crédits photo : Reuters

Ils ont gagné une médaille d’argent : Tess Ledeux, grâce à un magnifique double cork 1620 en ski freestyle, Chloé Trespeux en snowboardcross, et Johan Clarey, en ski alpin, devenu le médaillé olympique le plus âgé de l’histoire du ski alpin (41 ans et 29 jours).

Ils montent sur la 3e marche du podium : Mathieu Faivre en ski alpin, slalom géant, le relais masculin en ski de fond composé par Richard Jouve, Hugo Lapalus, Clément Parisse et Maurice Magnificat, troisième médaille de bronze en 3 olympiades pour le relais ski de fond.

Et il y a bien sûr aussi tous les autres athlètes qui nous ont fait rêver. Ils étaient 88 à représenter la France à Pékin, et ils se sont tous battus magnifiquement bien, bravo à eux et à dans 4 ans à Milan !

Solenn Ravenel

Rédactrice chez Weshculture

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