Élections brésiliennes : une démocratie menacée

À l’aube des résultats du second tour des présidentielles, un renversement de la démocratie est à craindre au Brésil. En effet, le président sortant Jair Bolsonaro a affirmé  à répétition qu’il « respectera les résultats [des présidentielles] si aucune irrégularité n’est commise ». Or, en parallèle, et ce durant toute la durée de la campagne, Bolsonaro a fustigé le mode de scrutin électronique, remettant en cause sa transparence, alors même que celui-ci est reconnu pour être l’un des plus sûrs au monde. En vue des événements, une version brésilienne de la prise du Capitole du 6 janvier 2021 est-elle à craindre ?

Des supporters de l’ancien président brésilien Inacio Lula da Silva, lors d’un rassemblement de soutien pour sa victoire au second tour de l’élection présidentielle, à Rio de Janeiro, au Brésil, le 6 octobre 2022. BRUNA PRADO / AP

Une fragilisation des institutions démocratiques par la désinformation

Depuis son arrivée au pouvoir en 2019, J. Bolsonaro et son gouvernement n’ont cessé de fragiliser les institutions démocratiques du pays par une utilisation constante de fake news, transformant et dénaturant les faits à leur compte. Cela se manifeste par une remise en cause du mode de scrutin électronique, l’altération constante des dires de son principal opposant politique, Lula da Silva (dit Lula), ainsi que des attaques incessantes envers tout média ou individu critiquant son projet politique ou ses actions. Ces attaques prennent donc la forme de fake news, que le parti bolsonariste (Parti libéral) diffuse sur les réseaux sociaux à commencer par l’application de messagerie WhatsApp en investissant de larges groupes de militants.Par ailleurs, il suffit de chercher un tant soit peu pour trouver une multitude de contre-vérités sur Lula, telle que celle concernant son projet de fermer toutes les églises évangélistes du pays, alors même que ces même évangélistes représentent une grande partie de l’électorat brésilien (65 millions en 2018 selon France Info). Plus largement, ce recours massif aux fake news (sans oublier les théories conspirationnistes) durant toute la durée de son mandat, a permis à Bolonaro d’étouffer la vérité se basant sur des faits. Aujourd’hui, nombreux sont les électeurs bolsonarites qui ne croient plus ce qu’ils voient, trop aveuglés par les propos de leur président sortant. L’affirmation que « le Brésil a été le premier pays du monde dans la lutte contre le Covid » (France Info) par un militant bolsonariste, quand celui-ci se trouve être l’un des plus mauvais (deuxième en terme de nombres de morts) rend compte de cette disparition progressive de la vérité.

Cependant, cette désinformation massive, inhérente à la politique de Bolsonaro, ne constitue en réalité que l’un des engrenages de cette machine bolsonariste dont l’action est non seulement destructrice de l’Amazonie, mais aussi de la démocratie dans son essence.

Une fascisation du pays

Rappelons le, on parle de fascisation d’un régime pour désigner une diffusion de l’idéologie fasciste, qui se caractérise par une normalisation de la violence, une ascendance de l’exécutif sur le législatif, mais aussi par une restriction des libertés et le développement d’un monopole de l’Etat sur l’ensemble des composantes de la société. Et c’est bien ce processus auquel on assiste au Brésil aujourd’hui…

Dès sa première campagne présidentielle, Bolsonaro reprenait le slogan phare du parti fasciste brésilien « L’Action intégraliste brésilienne » qui avait imposé un régime autoritaire dans les années 1930: « Dieu, patrie, famille ». Davantage que ces principes ultra-conservateurs qu’il prône, Bolsonaro est également connu pour avoir fait l’éloge, et ce à plusieurs reprises, de l’ancienne dictature civilo-militaire (1964-1985), durant laquelle l’armée s’était emparée du pouvoir par la force…Une dictature à laquelle Bolsonaro a lui-même participé, non pas en tant que haut-gradé, mais parmi les militaires des bas échelons qui imposaient, par la violence, le respect des lois. Il faisait donc partie de ceux qui étaient pour le maintien de l’armée au pouvoir, chose qui transparaît au travers de sa politique actuelle. Depuis le début de son mandat en 2019, Bolsonaro a effectivement militarisé progressivement la sphère politique, tant le législatif que l’exécutif. Ainsi, en 2020, on compte à la tête du gouvernement de Bolsonaro, le numéro deux de l’armée, sous d’autres termes, le général Walter Sanza Braga Netto, accompagné de neuf autres militaires sur vingt-deux ministres au total. Outre l’exécutif, cette militarisation du politique se perçoit donc également dans la sphère législative, comme le révèle les cinquante candidats issus de l’armée en compétition pour un siège au Congrès, un nombre encore jamais vu jusqu’alors.

Un entremêlement du pouvoir et de la religion

À première vue, la République brésilienne est une république tout ce qu’il y a de plus laïque. Mais cela reste une première vue. Si l’on s’attarde un peu plus sur les faits, politiques et religieux, ou plus précisément évangélisme (branche du protestantisme très prosélyte et qui se fonde sur une interprétation littérale de la Bible), s’entremêlent bien plus qu’ils ne le devraient. Il suffit d’assister à une cérémonie évangéliste durant la campagne présidentielle pour comprendre le problème…Celles-ci peuvent en effet rapidement se confondre avec un meeting politique. Durant la campagne de Bolsonaro, les cérémonies religieuses organisées par des pasteurs évangélistes se sont multipliées dans le pays, parmi lesquelles, on compte celles tenues par Silas Malafaia, un bolsonariste de renom. En effet, qui a déjà assisté à une cérémonie religieuse au cours de laquelle le président de la République intervient pour effectuer un discours appuyé er renchérit par le prêtre lui-même ? Dont le pasteur, malgré ses habits, prend plus l’apparence d’un démagogue qu’autre chose ?  C’est très justement l’apparence que revêt l’une des cérémonies de ce dénommé Silas Malafaia, questionnant alors la foule : « Qui veut le désordre ? Qui veut le communisme ? Qui veut le malheur ? » au côté de J. Bolsonaro.

Cette imbrication est nécessaire à Bolsonaro, qui, en s’assurant le soutien de l’Eglise évangélique, s’assure un vaste électorat. À l’heure actuelle, les évangélistes représentent 40% de la population brésilienne, et 70% d’entre eux affirment vouloir voter pour le candidat d’extrême-droite au 2e tour des présidentielles actuelles.  


Et de la violence…

Seulement, cette fascisation ne se limite malheureusement pas à la progression de l’armée, ni aux paroles prêchées par les pasteurs évangélistes. La violence, dans toutes ses formes, se fait aussi une place en crescendo dans la société brésilienne. Que ce soit par ses discours, ses actes ou encore sa politique, le président sortant a fait de la violence une norme. Aujourd’hui, plus aucune minorité ne peut affirmer être en sécurité au Brésil, à commencer par les homosexuels, bêtes noires de Bolsonaro. Dans un entretien avec un média brésilien en 2011, alors qu’il n’était encore qu’un député, celui-ci s’attaquait déjà à cette communauté en rétorquant « Faute d’argument, on m’accuse d’être homophobe. Mais qui aime les homosexuels ? Personne. ». Cette politique homophobe menée par Bolsonaro est allée jusqu’à faire fuir l’un des défenseurs de la communauté LGBTQ+ au Congrès brésilien, Wyllys de Matos Santos, lui-même homosexuel. Il a ainsi préféré se réfugier en Belgique lors de l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro afin de rester en vie. Cependant, cette politique, qui a toutes les allures d’une politique fasciste, ne s’attaque pas seulement aux homosexuels, mais bien à toute communauté considérée comme marginale. Bolsonaro en fait des boucs émissaires, responsables de tous les maux du Brésil, dans le seul but de se mettre en avant.

En conséquence, son mandat a précipité une violence dédiabolisée. Après tout, pourquoi se restreindre, faire preuve de civisme, quand les paroles même du président transpirent la violence ? Les opposants politiques ne sont donc plus des opposants, mais des ennemis. De même, toute personne en désaccord avec la politique du parti est dangereuse pour la société, en particulier si celle-ci est pour Lula et le Parti Travailliste (PT), alors elle ne peut être qu’une dangereuse communiste. Cette vision distillée par les mensonges du président sortant dans la société semble aujourd’hui omniprésente, créant ainsi une fracture peut-être irréparable entre les pro et contre Bolsonaro. 

La victoire de Lula ce lundi représente un espoir pour la société brésilienne. Cependant, celle-ci prendra du temps à se reconsolider autour de principes démocratiques, fondements d’une harmonie sociétale. La question est donc la suivante: Lula parviendra-t-il à ressouder le Brésil ?

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