Le hockey sur glace féminin est-il mis en échec ?

Du 5 au 16 avril se déroulaient les championnats du monde élite de hockey sur glace féminin. Une édition qui a vu les Etats-Unis s’imposer devant l’équipe canadienne, alors même que ces dernières jouaient à domicile. Lors de cette édition, l’équipe de France disputait également le deuxième championnat du monde élite de son histoire. Malheureusement, après quatre défaites : 14-1 face à la Finlande, 3-0 contre l’Allemagne, 4-2 face à la Hongrie et enfin 8-2 contre la Suède, la France est redescendue en seconde division. 

Finale entre les Etats Unis et le Canada, photo : the canadian press, Franck Gunn

La popularité du hockey sur glace en Amérique du Nord, mais surtout au Canada n’est plus à démontrer, alors que la NHL (National Hockey League), ligue rassemblant les équipes nord-américaines, brassent des milliards de dollars chaque année. Le hockey sur glace fait partie intégrante de la culture canadienne, symbolisant la victoire des hommes sur l’hiver glacial. Cependant, loin de la réalité mythifiée du sport, le hockey est un sport socialement et culturellement construit par une élite riche, blanche et masculine. En effet, s’appuyant sur les stéréotypes de genre, le sport les renforce, et par sa force culturelle, le hockey participe à la continuité de ces stéréotypes. 


Comment le sport renforce les stéréotypes de genre ?


Le genre est une construction sociale et culturelle construite et s’appuyant sur de nombreuses dichotomies : femmes / hommes, nature / culture, privé / public. Les femmes seraient liées à la nature et au cercle privé, alors que les hommes seraient liés à un espace public culturel. Le genre se construit et se performe selon les stéréotypes nés de ces dichotomies. Le corps, en tant qu’outil politique, participe à l’incorporation et la perpétuation des attentes d’une société selon Pierre Bourdieu, donc des performances de genre. Le sport, construction sociale pensée à travers les stéréotypes de genre, permet l’incorporation des savoirs par le corps, Pierre Bourdieu parle de “mimésis corporelle”. Par exemple, en gymnastique, sport féminin, les gymnastes se doivent d’être souples, jeunes et belles, alors qu’en hockey sur glace, les sportifs se doivent d’être forts, agressifs, imposants voire violents : des qualités associées à la masculinité. 

La construction sociale et culturelle du mythe du hockey est intéressante à analyser en termes de genre. En effet, le hockey est vu comme la quintessence culturelle de la victoire de l’industrie et l’ingénierie humaine, (alors lié à la sphère de la culture et à la masculinité), sur la nature, (lié à la sphère de la féminité). Si cette analyse métaphorique peut être excessive, elle souligne l’aspect très masculin du hockey, de sa culture et de ses valeurs. 

L’équipe du Canada, première équipe féminine championne du monde en 1990, photo : the canadian press, Franck Gunn


Le hockey sur glace féminin, un sport de combat 


Le hockey sur glace féminin a connu une forte hausse d’attractivité à partir des années 1980 en Amérique du Nord, notamment avec le titre IX de la loi sur l’éducation de 1972, interdisant les discriminations de genre à l’école, incluant les activités sportives. Puis la Charte des droits et des libertés en 1982 au Canada, interdisant les organisations sportives non mixtes car elles seraient discriminatoires. Cela a poussé la fédération internationale à organiser les premiers championnats du mondé féminin à Ottawa en 1990, un premier test pour un possible ajout du hockey sur glace féminin au programme des Jeux olympiques d’hiver, cherchant à féminiser ses épreuves. Après le succès de cette première édition, dont la finale a été regardée par 8,789 spectateurs dans les tribunes, contre 150 pour la première rencontre de la compétition. Le Comité olympique et la Fédération internationale de hockey sur glace décident d’ajouter le hockey féminin aux jeux de Nagano (Japon) en 1998. En 2015, la première ligue professionnelle de hockey féminin est née, aujourd’hui la Premier Hockey Federation compte 6 franchises (contre 32 pour la NHL).


Malgré ces grandes avancées pour le hockey féminin, les sportives cherchent encore leur place dans le monde du hockey. En effet, le modèle économique du hockey féminin est bien loin d’être fixé alors que la Ligue canadienne de hockey féminin, fondée en 2007, qui était concurrente de la Premier Hockey Federation et devenue professionnelle depuis 2017, a fait faillite en 2019. De plus, les joueuses doivent également se battre constamment pour avoir des créneaux d’entraînements sur la patinoire. Les équipes féminines sont souvent les dernières à se voir attribuer leurs horaires, bien après les équipes masculines élites, junior, voir les divisions encore plus jeunes. La glace reste un espace masculin où il est encore difficile d’imaginer les femmes évoluer, au-delà de quelques jeunes filles “garçons manqués” jouant avec les équipes masculines. Les joueuses se retrouvent alors avec des entraînements plus courts, à des horaires moins pratiques : tard le soir ou tôt le matin. De plus, les équipes féminines manquent de beaucoup de moyens matériels et humains, comme l’avait souligné la chercheuse Cynthia Pelak avec l’absence de médecin ou de kiné accompagnant les joueuses lors des matchs. 


La mise en échec, une interdiction plus que symbolique 


La mise en échec au hockey est une technique défensive consistant en bousculant fortement son adversaire pour le séparer du palet. Cette technique reste cependant dangereuse au regard de la violence des chocs et augmente les risques de commotions cérébrales, allant jusqu’à plus que tripler le risque dans les divisions pee-wee (12-13 ans), selon une étude de l’université de Calgary. Si cette pratique violente est de plus en plus réglementée voire interdite dans les divisions jeunes, la question ne se pose pas en NHL. En effet, la violence semble inhérente au hockey, restant un des rares sports à autoriser la bagarre sur la glace selon certaines conditions.  La violence est donc un argument marketing pour la NHL mais aussi une attente de la part du public, notamment canadien, pour qui enlever la violence serait dénaturer le sport.

Mise en échec de John Moore sur Dale Weise crédit : la presse canadienne, Ryan Remiorz

Étonnement cette mise en échec est interdite pour les joueuses. La violence serait ainsi acceptée tant qu’elle n’est pas pratiquée par les femmes. Ces dernières seraient peut-être trop fragiles pour supporter l’importance des chocs. En effet, pendant longtemps, le seul but des cours d’activité physique dispensés aux femmes était d’améliorer la santé de celles-ci dans l’optique de leurs futures grossesses. Si la décision d’interdire la mise en échec dans le hockey féminin a été prise en 1990, lors de l’harmonisation internationale des règles, pour des raisons médicales (protection des joueuses) et éthiques (équité des équipes) selon les instances dirigeantes, celle-ci a aussi été prise pour des raisons médiatiques : les nombreuses blessures que la mise en échec pouvait occasionner auraient pu faire mauvaise presse au hockey féminin. Cependant, cette question ne s’est jamais posée pour le hockey masculin, pour qui les nombreuses blessures, mais aussi morts prématurées, cas de démence liés aux chocs répétés, ne semblent pas émouvoir au point de questionner la légitimité de la violence dans le hockey. 

Le spectacle de la force et de l’agressivité des femmes pourraient également remettre en cause les performances de genre, mettant en mal une domination patriarcale. En effet, si la question de la présence de la violence ne se pose pas dans le hockey masculin, c’est bien qu’elle fait partie du caractère social et culturel dit “normal” de l’homme, là où elle devrait être inexistante chez la femme. Cette interdiction de la mise en échec dans le hockey féminin participe à la marginalisation du sport, qui ne serait pas alors considéré comme le “vrai” hockey. Pour Charlene Weaving et Samuel Roberts, autoriser la règle de la mise en échec permettrait aux femmes de reprendre le contrôle sur leur corps pour permettre une égalité des genres, et participerait à la légitimation du sport.

Pour conclure, le hockey sur glace, à travers sa pratique mais aussi son narratif, légitime des normes et valeurs socialement et culturellement masculines. On observe cependant un réel engouement du hockey sur glace féminin, notamment au Canada avec 87,000 pratiquantes. Mais également en France, où l’équipe nationale a disputé sa deuxième compétition internationale au niveau élite. La pratique et le narratif du hockey féminin semblent cependant limités par l’interdiction de la mise en échec, une règle qui permet de protéger les joueuses, particulièrement face aux commotions cérébrales, mais qui reste fortement paternaliste et patriarcale et participe à délégitimer le sport. Il est tout de même intéressant de se questionner sur les raisons de cette marginalisation, si les différentes règles peuvent être une excuse à la marginalisation du hockey féminin, sont-elles une raison ? De plus, sur le cas de la mise en échec, règle augmentant fortement le risque de commotion cérébrale, le hockey féminin ne devrait-il pas donner un exemple pour le hockey en général ?



> Sources  

https://www.rds.ca/hockey/quand-mise-en-echec-signifie-blessure-1.347105 

Reid, P.A. & Mason, D.S. (2016) “Women Can’t Skate that Fast and Shoot that Hard!’: The First Women’s World Ice Hockey Championship, 1990.” The International Journal of the History of Sport 10, 2016, 1-19.

Pelak CF. (2002) “Women’s collective identity formation in sports: a case study from women’s ice hockey”. Gender Soc 2002:16(1): 93–114

Weaving, C. & Roberts, S. (2012) “Checking In: An Analysis of the (Lack of) Body Checking in Women’s Ice Hockey”, Research Quarterly for Exercise and Sport 83(3), p.470- 478.



Solenn Ravenel

Rédactrice chez Weshculture

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