Mook : une artiste précise et rigoureuse

Du haut de ses 21 ans, Alice, ou plutôt Mook, manie avec rigueur et sérieux l’aquarelle, une technique pourtant très difficile. Elle exploite à travers ses œuvres des univers très différents, que ce soit le cyberpunk, un monde futuriste et dystopique, mais aussi un monde horrifique avec des représentations de femmes maigres, ou encore un thème pastoral avec des chimères.


Peux-tu te présenter ?


Je m’appelle Alice, j’ai 21 ans, et je signe sous Mook. Pourquoi Mook ? Quand j’étais jeune, j’avais un compte DeviantArt qui s’appelait Mook, et je l’ai gardé quand je me suis inscrite sur Twitter, je n'avais pas envie de mettre juste “Alice”. En plus ça sonnait bien.

Je suis étudiante en deuxème année en illustration dans le DNMADE du lycée Renoir à Paris. J’ai choisi cette formation après avoir arrêté au bout de 2 ans une école d’architecture qui ne m’a pas plus.

Quand, comment et pourquoi as-tu commencé la peinture, et particulièrement l’aquarelle ?


J’ai gribouillé quand j’étais petite, mais sans plus. Avant le lycée, j’étais la fille fan d’équitation mais par la suite ça m’a posé des problèmes, du coup j’ai cherché une autre passion et je me suis mis au dessin à fond.


En première, j’ai pris des cours avec une voisine, qui m’a appris l’aquarelle. J’avais 15 ans lors de mon premier cours. Elle m’a donné goût à ça parce que c’est très dur. Quand on sait faire de l’aquarelle, c’est un plaisir de travailler. J’ai découvert d'autres trucs aussi en suivant d’autres artistes, comme la gouache, que je pratique en plus de l’aquarelle maintenant. J’ai longtemps été complexé par ce retard, parce que j’avais des potes de 17 ou 18 ans bien meilleurs que moi qui dessinaient depuis longtemps. Mais de mon côté je charbonne pour rattraper mon retard.


Dans ton travail on retrouve généralement trois éléments : une représentation animale et végétale, qui peut parfois faire penser au studio Ghibli ; des femmes, souvent très minces, où s’en est presque maladif et de l’horreur, avec beaucoup de sang.


Comment expliques-tu cela ?


En ce moment, j’essaye de développer plusieurs univers différents. Pendant le confinement je me suis promenée en forêt, et du coup j’avais envie de mettre des nouveaux décors. En plus, l’année prochaine, avec le DNMADE, j’ai un projet avec des chimères. J’aimerais faire un bestiaire des chimères.



"Pour l’aspect horrifique, je me bats contre des troubles alimentaires, c’est pour moi une façon de les combattre, en peignant par exemple des gants noirs. Je représente mes pensées contre mon côté rationnel. "

Pour l’aspect horrifique, je me bats contre des troubles alimentaires, c’est pour moi une façon de les combattre, en peignant par exemple des gants noirs. Je représente mes pensées contre mon côté rationnel. J’essaye de représenter ça notamment à travers ma peinture de la femme qui mange une biche. C’est comme si la maladie qui me bouffait et prenait du plaisir, et est en même surprise comme on le voit sur son visage. C'est moi qui me confronte à mes pensées.


On retrouve aussi des représentations de sentiments relativement négatif comme l’insécurité ou la tristesse et cela en utilisant des couleurs généralement sombres. Représente-tu cela car l’art est un exutoire ou simplement parce que tu trouves le sujet intéressant ?


Je pense un peu les deux, dans le sens où je suis assez attirée par les œuvres d'art qui parlent de sujets un peu tristes et avec des représentations graphiques qui sont un peu torturées. Mais je pense que c'est aussi un moyen pour moi de mettre des images sur des sentiments que je peux avoir et de les extérioriser dans ce que je fais. Je pense que pour moi, dans mes pensées actuelles, travailler sur des sujets plus sombres est plus en adéquation avec les émotions les plus intenses que je peux ressentir.


Comment définirais- tu ton art?


"C’est onirique avec une certaine violence. Un prof m’a dit un jour sur une peinture “on a presque l’impression qu’elle le caresse”, alors que ça mettait en scène un acte assez violent. "

Je trouve que c’est un peu symbolique et très illustratif. C’est onirique avec une certaine violence. Un prof m’a dit un jour sur une peinture “on a presque l’impression qu’elle le caresse”, alors que ça mettait en scène un acte assez violent. Mes œuvres sont très minutieuses mais aussi assez violentes, assez graphiques. On retrouve une

double lecture.



Comment décrirais-tu ton rapport à l’art ?


Pour moi c’est quelque chose qui te fait te dire pourquoi on est en vie alors qu’on on va tous mourir un jour. Ça donne un sens à ce qu’on fait sur Terre.

L’art est partout autour de nous, à travers les publicités parce qu'il y a un graphiste derrière, la musique parce qu'il y a des chanteurs et des compositeurs, ou encore le cinéma.

"L’art donne de la beauté à notre quotidien. Les proches c’est important mais être proche de l’art c’est fabuleux."

Durant le confinement, en mars 2020, il y a eu un sondage sur les métiers les plus inutiles, et c'était absurde de voir que les artistes étaient inutiles. L’art donne de la beauté à notre quotidien. Les proches c’est important mais être proche de l’art c’est fabuleux.


Ce sont des façons de penser différentes des nôtres. Il y a plein d’œuvres d’arts d’autres cultures. C’est fou de se dire qu’il y'a des centaines d’années, des artistes ont peint sur des fresques dans des chapelles et qu’on les admire encore.

Notre présence sur Terre a un sens. L’art donne un sens a des gens. Quand tu écoutes une musique ou quoi, ça donne des émotions. Comment une personne ou un groupe arrive à transmettre une émotion à des proches ou des gens partout dans le monde.


Un artiste c’est quelqu'un qui arrive, avec des moyens techniques, à insuffler à cette espèce de je-ne-sais-quoi de nouveau et neuf qu’il perçoit à ce qu'il entoure, que ce soit de la politique, ou juste de qu’il trouve beau. Ça nous permet d’aborder une nouvelle vision. Il arrive à exprimer un ressenti personnel et à le partager.



Comment vois-tu l’évolution de ton art jusqu'à maintenant (tu dessinais des robots dans des lieux intriguant, des animaux etc, et aujourd'hui plus des femmes) ? Et sais-tu où tu veux/vas aller ?


J’ai commencé à poster sur Twitter en 2018. À cette époque, je faisais beaucoup de portraits, de paysages, d’études, et de recherches techniques. Ça a commencé par des personnages sur fond bleu. Puis j’ai fait des décors l’année dernière, puis des femmes oiseaux. Je resserre mon champ d’étude parce que c’est un sujet qui me tient à cœur. Mais j’expérimente bien plus dans mes carnets, c’est moins dans l’étude.

Si j’ai une photo, je vais essayer de me l’approprier. J’essaye de progresser dans une recherche personnelle.


J’ai des périodes, un moment c’était des squelettes. Là j’ai fait des champignons. On avait un sujet de cours autour du cyberpunk c’est pour ça que j’ai fait des robots. J'aime bien le Cyberpunk. J’ai bien aimé Blade Runner par exemple. Mais je suis plus à l’aise avec des choses naturelles. Je peux me planter mais c’est rattrapable. Alors que sur de quelque chose de construit, comme des immeubles, c’est bien plus dur de me rattraper quand je rate.

Quels projet t’intéressent actuellement ?


Bah ça m’intéresserait de faire des toiles plus grandes. Je commence à travailler sur des trucs plus grands, parce que c’est ma faiblesse. Mon format c’est le A3 ; j’ai peur d’être devant quelque chose de grand. Mais j’aimerais voir où je peux aller avec ça.



Qu’est ce qui t’inspire ? As-tu des influences ?


Ce qui m'inspire le plus, c’est le travail d’autres sur Instagram, ça me donne pas mal d’idées. En ce moment, y'a pas mal de photos et de films qui m'inspirent. Par exemple, j'ai bien aimé les idées esthétiques dans Le Dernier Voyage. Y’avait aussi A ghost story que j’ai bien aimé et qui racontait le passage du temps.

Il y a aussi des photographes que j’ai découvert sur Instagram. Ça me parle beaucoup mais c’est étrange comme univers.

Miles John Stone qui fait des projets surréalistes, c’est très symbolique, m’inspire aussi pas mal.


J’aime beaucoup Klimt, Schiele. J’ai pas mal été inspiré par l’exposition sur Turner l’année dernière. J’ai eu une période sur la renaissance italienne, car j’aime les mains, les postures etc qui sont représentées.


Finalement, je suis toujours dans l’iconographie du Moyen-Age, c’est très symbolique. En ce moment, je lis un livre de Pastoureau qui explique les couleurs et leurs mélanges, c‘est super intéressant.


Qu’est ce qui t’intéresse dans l’art et quand tu peins ? Que cherches tu à représenter un truc en particulier ?


Souvent, je cherche à représenter des choses mais ça ne marche pas. Mais parfois, quand j’ai réussi à représenter une image qui est passée dans ma tête, c’est super agréable.


J'aime bien passer plusieurs jours à peindre et voir mes peintures se construire petit à petit, pour parfois revenir dessus et la comparer avec les autres. C'est très apaisant.`

Quand je peins, je me laisse porter par ce qu’il se passe. J'aime bien passer plusieurs jours à peindre et voir mes peintures se construire petit à petit, pour parfois revenir dessus et la comparer avec les autres. C'est très apaisant. Quand je peins, j’essaie de ne pas être envahie par des choses ou mes pensées.


Quel projet as-tu préféré faire ?


Je suis assez contente de la série des chimères, j’ai éprouvé pas mal de plaisir à la faire.

Pour le projet de la femme dans la salle de bain et le cyberpunk j’étais contente d’être allée jusqu’au bout et ça me tenait à cœur.

Les illustrations où les couleurs forment une harmonie, quand ça fonctionne, me remplissent de joie. J'arrive de plus en plus à créer des ambiances colores et c’est super gratifiant de voir ça de plus en plus.



Ton DNMADE te permet quoi exactement (explorer d’autres choses non ?) ? Pourquoi de telles études ? Faire quoi à l'avenir ?


Je me suis redirigée en DNMADE parce y’a pas 36 formations en illustration. J’étais intéressé par la formation proposée par les Beaux-Arts, mais c’est plus contemporain, alors que c’est l’art graphique qui m’'intéresse. C’est important d’avoir un avis extérieur sur mon travail et en plus on se ressemble dans la formation.


J'ai découvert d’autres portes comme l’illustration pour la jeunesse ou l’éditorial, qui permet d’apprendre à gérer ses droits et c’est important. e suis assez scolaire. J’ai toujours pris du plaisir à aller en cours et je ne me voyais pas chercher un travail après ma licence d’architecture.


Avec le DNMADE, je découvre des trucs que j’aurais jamais fait, genre de la gravure, même si j’aime pas toutes les techniques, mais ça pourrait toujours m’être utile.

Je suis actuellement en stage et ça me permet de voir comment ils travaillent et en plus je reçois des conseils.Le stage est super intéressant et rassurant, parce que c’est un métier assez instable. En plus, j’ai des avis plus objectifs sur mon travail. Sur les réseaux sociaux c’est traître à cause de l’algorithme qui met pas toujours tout ton travail en avant. Donc, c’est dur de juger la valeur de son travail. Côtoyer des professionnels qui donnent des conseils, c'est super important.


As-tu déjà rencontré des obstacles insurmontables ? Des projets qui ne où tu pensais ne pas avoir le niveau ?


Oui, récemment on a eu un workshop avec une autrice de bande dessinée et il fallait faire des dessins rapides drôles et en quelques cases. Mais je fais des dessins assez minutieux, qui racontent une histoire en une image, et qui sont dramatiques. Ça m’a forcé à développer un autre style : je me suis planté et tout, mais c’était intéressant.


J'essaie d’être assez persévérante. J'abandonne rarement. Même si je ne respectais pas le sujet, j’essayais de me l’approprier au mieux. En plus, on est formé au genre de la bande dessinée, et j’ai du mal à mettre du personnel dans les projets scolaires, parce que c’est comme se mettre à nu devant des profs. Dans mes cours d’illustration jeunesse j’essaye des trucs plus minimalistes et des animaux, parce que j’ai du mal avec des personnages doux.


As-tu pu exposer ? Sinon, pourquoi faire des prints ?


J’ai jamais exposé mais j’aimerais bien. Mais je n’ai pas eu de demande et je me vois pas trop le faire maintenant.


Les prints ça vient du fait qu’on m’ait dit qu’on aimait bien ce que je faisais et qu’on voulait acheter mon travail. Quand j’ai eu plus de demande j’ai pensé à faire un Etsy mais j’ai décidé de faire un site qui fait plus professionnel parce que ça fait office de boutique et de portfolio, et je n’ai pas a payer les frais d’Etsy.


Les prints ça permet de vendre ce que tu fais à des gens qui aiment bien. C'est incroyable de se rendre compte que des gens sont prêts à payer pour avoir une de mes œuvres chez eux, encadrée et tout. C’est fou de se dire qu'il y’en a qui sont près à avoir une partie de moi chez eux.


Maintenant, j’ai mes habitudes et je contrôle tout dans la vente des prints : j’ai un scanner, et je connais bien l’imprimeur, qui m’a fait tester différents papiers. En fait, c’est un cercle vertueux : je m’achète du matos pour tester des nouvelles idées, que je propose à des gens qui vont acheter.


As-tu pu profiter du confinement ? As-tu pu retourner aux musées ?


Pendant le confinement, j’étais chez mes parents en Bretagne, y’avait un côté hyper stimulant.

"J'ai fait des expositions. Voir d'autres gens parler d'œuvre, c'est un sentiment d’euphorie, c’est fou. "

Avec la réouverture des musées je me suis précipitée. J’ai moins de 26 ans donc le Louvre est gratuit, c’est une super chance, donc j’y vais tout le temps pour dessiner. J'ai fait des expositions, voir d'autres gens parler d'œuvre, c'est un sentiment d’euphorie, c’est fou.



Melchior.

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