La fin de l’impunité à la Fédération Française de Rugby 

Alors que l’équipe de France de rugby semble inarrêtable en enchaînant 13 matchs sans défaite, la justice a enfin sanctionné les indécentes magouilles financières des dirigeants des plus hautes instances du rugby français. Chronique sur la fin d’un monde, un monde où l'argent achète les amitiés, les voix, les faveurs. Un monde qui se drape dans ses valeurs et qui se voile la face sur la réalité de ces agissements. Un monde où l’on ne dit plus « aider un ami », mais « corruption », « c’était juste un petit geste », mais « abus de bien social ».

Le 13 décembre dernier, le rugby français était suspendu au verdict rendu par le tribunal correctionnel de Paris dans l’affaire Laporte-Altrad. Ils ont finalement été reconnus coupables de corruption, prise illégale d’intérêts, trafic d’influence et recel d’abus et de bien sociaux. Mais déroulons le fil et remontons au début. En septembre s’est ouvert le procès nommé Laporte-Altrad. Les deux accusés principaux sont Bernard Laporte, président, depuis 2016 de la fédération française de rugby, et Mohed Altrad, homme d’affaires, PDG du groupe Altrad et président du club de rugby Montpellier Hérault Rugby. À noter la présence sur le même banc de Serge Simon, vice-président de la FFR et de Claude Atcher, ancien responsable du comité d’organisation de France 2023, limogé en septembre en raison de ces méthodes de « management par la terreur ». Les quatre hommes seraient impliqués dans différentes affaires : l’appel d’offre pour le sponsor des maillots du XV de France remportée par Mohed Altrad, les décisions prises par Bernard Laporte en tant que président de la FFR qui auraient favorisé le MHR, club d’Altrad, mais aussi l’achat du club anglais Gloucester. Les faits remontent à 2017, et les anomalies avaient déjà été montrées du doigt par la commission d’enquête du ministère des Sports. Depuis, la Brigade de répression de la délinquance économique a enquêté pour livrer un rapport de 76 pages qui a permis de traduire les accusés en justice.

Les détails d’un “pacte de corruption

La justice a qualifié les faits de “pacte de corruption” entre Bernard Laporte et Mohed Altrad, car c’est véritablement leur relation qui est au cœur du procès. Il y a d’abord un contrat d’image, signé en février 2017, quelques mois après l’arrivée de Bernard Laporte à la tête de la FFR. Un contrat dans lequel Bernard Laporte cède son droit d’image à l’entreprise de BTP de Mohed Altrad et accepte de participer à plusieurs séminaires en échange de 180,000 €. Le contrat n’a jamais été exécuté avant que Bernard Laporte finisse par renoncer à celui-ci. Bernard Laporte serait ensuite intervenu en faveur du Montpellier Hérault Rugby, (MHR) club détenu par Mohed Altrad. Notamment en mars 2017 lorsque Bernard Laporte et la FFR s'opposent au report de 2 matchs de Top 14, dont l’un devait se jouer à Montpellier, report auquel Mohed Altrad était lui aussi opposé.  En juin 2017, alors que la commission fédérale de discipline inflige une amende de 70,000 € au MHR. Cette sanction sera réduite à 20,000 €. 

Enfin, en 2018, le groupe d’Altrad remporte l’appel d’offre pour être le premier sponsor maillot du XV de France, contre 7 millions d’euros par saison. Un appel d'offres qui semble frauduleux et pour lequel aucun des deux accusés n’a semblé pouvoir donner un récit clair des faits. Plusieurs accusations sont aussi portées sur les liens entre la FFR et la société Sport XV et son président Claude Atcher, aussi proche de Bernard Laporte.

Quelles sont les conséquences de ce scandale pour les instances du rugby ?

Le verdict du tribunal est clair, Bernard Laporte et Mohed Altrad ont été reconnus  coupables de 4 infractions sur les 6 chefs d’accusations. Bernard Laporte est condamné à 2 ans de prison avec sursis, 75000€ d’amende et 2 ans d’interdiction d’exercer toutes fonctions en lien avec le rugby. Mohed Altrad est condamné à 18 mois de prison avec sursis et 55000€ d’amende. La demande de l’exécution provisoire des peines n’a pas été retenue par le tribunal. 

Quelques jours après le verdict, Bernard Laporte a choisi de faire appel et a annoncé rester à la tête de la FFR en attendant le nouveau jugement.  De son côté, la ministre des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques, Amélie Oudéa Castera, a appelé à un “nouveau temps démocratique”. Une décision de Bernard Laporte de plus en plus difficile à tenir alors que le monde du rugby lui tourne le dos petit à petit. Si le communiqué de World Rugby “prend note de la décision prise par son vice-président Bernard Laporte de se retirer temporairement et volontairement de toutes les fonctions occupées au sein de la gouvernance de la fédération internationale” il est aisé de comprendre que la fédération internationale n’accepte pas que son image soit entachée par des décisions de justice alors que la Coupe du monde 2023 débute dans moins d’un an. De leur côté, les clubs professionnels ont poussé la Ligue Nationale de Rugby à publier un communiqué s’alignant sur la volonté de la ministre des Sports et appelant à une assemblée générale extraordinaire. Serge Simon, vice-président de la FFR, s’est mis en retrait de ses fonctions depuis déjà quelques mois, malgré sa relaxe. Enfin, l’opposition à Bernard Laporte est prête à de nouvelles élections avec un programme et une liste définis. 

Seul contre tous, Bernard Laporte a donc finalement décidé de se mettre en retrait de la présidence, tout en nommant Patrick Buisson comme président-délégué provisoire. Les clubs devront adhérer à ce choix par un référendum entre le 13 et le 15 janvier. Si la ministre accepte cette mise en retrait, elle souligne que cette mise en retrait “n’est pas une notion qui est prévue dans les textes et dans les statuts" et campe sur sa position de vouloir une nouvelle élection pour que la Coupe du monde de rugby, qui débutera le 8 septembre en France, ne se déroule pas avec un président sous le coup de condamnation judiciaire. 

Alors que le jeu des 7 différences entre Gianni Infantino et Bernard Laporte semble plus compliqué que prévu, le rugby peut-il encore se faire le porteur des valeurs de respect de l’arbitre et des règles ?


Solenn Ravenel

Rédactrice chez Weshculture

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