Booba : Pourquoi ULTRA n’est pas une déception ?

Nota Bene : Maintenant qu’on a tous pu écouter le 10ème et dernier album de Booba, Duc du Rap Français, il serait peut-être aussi temps de remettre les points sur les i concernant les avis divergents ET SURTOUT les critiques, parfois bienvenues, parfois peu reconnaissantes et faciles pour le contenu proposé. Ici, on s’intéresse aussi bien au phénomène qu’est Booba sur la scène culturelle FR qu’à sa musique. Serrez les dents si vous ne l'avez pas aimé, bonne lecture, ça va être long.

(N.B. 2 : Lisez les citations en chantant svp, on a pas encore le budget pour l’intelligence artificielle. Bises.)

Le Rap Jeu Français a souvent été comparé à un échiquier. Mais pour les anciens, les papas ou les rois mages du rap actuel, j’ai nommé Booba le Duc, Rim’K le tonton et Rohff le foolek, il serait peut-être plus judicieux de parler de Guerre Froide (Rim’K étant l’ONU qui essaye d’apaiser les tensions avec sa bonne humeur, merci tonton).


Comme dans toutes les guerres, on voit parfois aussi des conflits internes. ULTRA est LE projet qui a divisé, pas seulement parce que c’est le dernier album de Kopp mais surtout parce qu’on est tous conscients que c’est la fin d’une ère. A première vue, on pourrait penser que c’est une déception notamment pour le dernier son, en feat avec Bramsito, qui est en réalité un succès si on le réécoute. Par contre, il faut bien s’armer pour découvrir les pépites derrière ce champignon de fumée.

L’ INDETRÔNABLE, HUMAIN AVANT TOUT

Veni : Il se rappelle toujours d’où il vient

Dans la culture universelle du rap, on a tendance à avoir le « started from the bottom » trop facile. Ici c’est loin d’être le cas : Booba avec un dernier projet, soit l’accomplissement de plus de 25 ans de carrière, reste reconnaissant et se rappelle de son ascension, sa propulsion dans la musique et la culture urbaine plus généralement. A travers cet album, plusieurs détails laissent à penser qu’il est très marqué par son background, entre les relations conflictuelles avec les autres rappeurs, les femmes et la police.

On peut souligner par exemple « Started from banc d'la GAV, j'ai les lacets défaits. En Ferrari tellement flashé, je frôle la crise d'épilepsie » dans Bonne Journée en feat avec SDM (on reviendra sur celui-ci pour le secret qu’il cache). Bien qu’il n’ait pas grandi dans un ghetto, il est très attaché à son 92i et a prouvé que c’était un mec de la rue depuis bien longtemps, sa réputation à ce niveau n’est pas à refaire. Qui plus est, il ne bénéficie pas de traitement de faveur, comme pour la bagarre à Orly, thème important de l’album, où il est quand même allé en prison avec son ennemi juré. Après ses apogées consécutifs avec Temps Mort, Lunatic et d’autres succès, il reste humble et répète qu’il ne reste qu’un homme.


D’ailleurs, sa conscience de la mort et les mentions fréquentes de certaines parties du corps « Je vais m'endormir à la morgue, m'réveiller d'une balle dans la tête » dans Mona Lisa en feat avec JSX, quand il parle de son cœur « Mais au final qu'est-c'qu'un cœur ? Ça fait juste circuler le sang » dans Je sais ou encore « L'artère principale est touchée » (pour parler de l’artère aorte) dans Grain de sable en feat avec Elia rendent compte de cet aspect très pragmatique, qu’il reste mortel lui aussi et qu’un titre aussi prestigieux qu’il soit ne change rien. (Les plus mélomanes d’entre vous auront remarqué qu’il parle de son cœur dans TOUS ses piano-voix : les deux cités, le troisième étant Dernière fois en feat avec Bramsito).

Ajoutons que ce côté humain le rend plus noble, lorsqu’un humain est le meilleur de tous à un niveau, tout domaine confondu, c’est beaucoup plus appréciable que si une entité avec plus de facilité réussissait là on l’on aurait tous échouer : c’est de la compétition saine et c’est digne d’un vrai sportif.


Vidi : Le roi du Rap Jeu


Ici on va principalement se focus sur un élément très poussé de la culture urbaine : La Mégalomanie. On ne fera pas de liste de citations où il se vante d’être le plus stream, parce qu’on aurait + de 50% de l’album et ce n’est pas le but. Concentrons-nous sur deux sons en particulier, sans trop s’attarder sur les clashs frontaux car on y viendra plus tard) : Azerty & Ultra, deux solos, parce qu’il n’a rien à prouver à personne le Boulbi, surtout en faisant un album de moins d’une heure.

Pour commencer on remarque que les deux sons ont des instrus plutôt saccadés, sombres, l’un calme et l’autre plus rythmé, du même type que PGP ou Cavaliero sortis en singles et ayant servi pour la communication d’ULTRA.

Il le dit très bien lui-même dès le deuxième son de l’album :

« Humble dans mon arrogance, je sais que d'autres ont fait bien mieux

C'est chacun sa chance, à un moment, faut dire "adieu"

Il régna d'une main de fer, transforma tous ces rats en souris

Ils s'éteignirent comme des bougies, moi, comme un feu de Californie »

Azerty - Booba

Ce passage résume tout l’ego du rappeur en quelques lignes. Plus qu’arrogant, il aime provoquer et se délecte de voir les autres s’enflammer, ça pourrait quasiment être une référence à tous ses affronts virtuels par la même occasion.

Sur ce même point, on peut retrouver un hors-série/teaser avec Jauné en feat avec Zed (13 Block), son qui a aussi participé à la promotion d’ULTRA où il dit très clairement : « Ils m'ont sauté mon IG, zebi, y a l'oiseau bleu ». Si ma théorie est bonne et qu’il parle bien des clashs sur les réseaux sociaux, il a gagné le jackpot en réussissant à se faire sauter par le réseau social Instagram.

Dans le titre éponyme de l’album, Ultra, également un titre de son ultime rival Kaaris, Booba pose klawis sur table. On pourrait littéralement citer tout le morceau pour décrire le narcissisme de Booba, qualité qui rappelons-le, est très importante pour quantifier son talent dans le milieu du rap.

« Si tu vois une plaque 92, six cents chevaux, tu sauras qui t'l'a mise », on comprend que Booba n’a plus besoin que d’un chiffre pour que l’on pense à lui et d’une phrase pour abattre son adversaire. En nommant son album et ce morceau comme attaque directe à Kaaris, tout le monde oubliera le son de ce dernier. Il lui a accordé de l’importance pour mieux l’enfoncer, c’est le procédé de tous ses clashs. Échec et mat.

Enfin, en plus de surprendre et choquer ses fans et toute l’opinion publique avec des faits historiques délicats (récidive sur la mention des attentats de 2015, DSK ou encore le Rwanda), il se surprend aussi lui-même, malgré tous les bagages qu’il porte déjà avec lui. Encore une fois ça n’apparaît pas dans l’album, mais dans un de ces annexes sorti en amont : « Je n'suis que le Top Singles, et le cours de l'euro » dans Jauné mentionné plus tôt. Cette déclaration est un euphémisme (en réalité on parle même d’une litote tellement c’est puissant) qui permet de remettre l’église au milieu du village, c’est-à-dire affirmer à quel point il est performant en termes de chiffres puisqu’il se compare à la bourse, non pas au CAC40 mais à l’Euro, monnaie la plus répandue au monde et utilisée dans 19 pays.Vici : L’apothéose d’une légende


On l’a dit, cet album marque la fin non seulement de l’Histoire des albums du Duc du 92i, mais aussi la fin d’une ère pour le rap qui s’est presque endeuillé à l’annonce de cette nouvelle. Ce que l’on peut lui reprocher, c’est de ne pas être aller explorer de nouveaux horizons musicalement parlant et que pour du Booba, c’est simplement correct (si on ne prend pas Grain de Sable en compte). Mais pourquoi changer une recette qui marche ? (Non là je plaisante, j’étais un peu sur ma faim aussi). Objectivement, il est totalement légitime de trouver que ces instrumentales ne soient pas assez creusées, mais le contenu fait la différence.


Booba est un grand habitué des références religieuses dans ses sons, car il aime marquer les esprits en choquant. Ce qui le fait passer au cran supérieur ici, c’est la quantité de références par son, qui touchent beaucoup plus les 3 monothéismes que le christianisme auquel les auditeurs sont habitués : « des migrants, des Amazones et pas de Jésus » dans 5G, « Rien d’mieux qu’un “nique ta mère” en Hébreux, sur un ton islamique » du côté d’Ultra. Avec ces citations, on voit bien que le blasphème est à son comble et la brutalité nous frappe tous.

Avec des références au sacré plus douces, il apporte presque un regard angélique à des lieux perçus comme l’enfer sur Terre : « Vue du ciel, la té-ci est jolie » dans VVV feat Maes.




GUERRE & PAIX: LA DOUBLE LECTURE



Mystique, ésotérique, complotiste… On ne sait jamais vraiment ce que veut dire B2O derrière ses lyrics. Pourtant il a l’air d’être très sûr de lui, alors c’est d’autant plus troublant. Dans ce thème manichéen qui est le pilier de l’album, Booba nous parle de paix et de vue sur la mer, pour clasher la planète entière les sons d’après. Décortiquons tout ça. Enfin essayons.



Plutôt Guerre ?

Si vous avez été assez loin dans l’album, vous avez sûrement reçu une gifle pour le son intitulé l’Olivier qui est un ring, une véritable arène. C’est aussi et surtout le son le plus connu de la chanteuse R’n’B Wallen.


L’olivier, symbole de paix et de réconciliation en mémoire du conflit Israélo-Palestinien, est une vraie farce parce qu’il enchaîne les clashs à la mitrailleuse. Entre « J'suis pas un Gnakouri, j'suis un homme, c'est pas la même » pour finir Kaaris frontalement ou encore « Pour éteindre DSK, ils ont juste eu besoin d'une Guinéenne », on ressent bien l’atmosphère plutôt tendue. Le manque d’espoir et la désillusion se fait même ressentir par la dernière phrase « Dites à Wallen, personne replantera l'olivier » qui laisse un arrière-goût d’amertume à l’approche de la fin de l’album.


Vous vous souvenez quand on parlait d’Ultra de Kaaris ? Vous saviez qu’il a fait exactement la même chose avec Bonne Journée en feat avec SDM ? Et oui ! Jamais 2 sans 3. Le fameux morceau était à l’origine une chanson de Rohff, son ennemi dans la première génération. J’avais dit qu’on en reparlerait : c’est le moment.


Rohff et Booba sont les plus gros ennemis du Rap Français, ce sont nos Tupac et Biggie avec la French Touch. Peut-être même plus qu’avec Kaaris parce qu’à l’époque il y avait les collectifs et la compilation de Menaces sur la Planète Rap 3 avec Kore et Sinik, mais c’est pas le sujet.


Ce son de Rohff c’est un peu le It was a Good Day de Ice Cube pour les amateurs de vieux rap, les vrais connaisseurs. Donc s’attaquer à un son tranquille et cool qui donne de la bonne humeur avec une outro hilarante c’est déjà pas super judicieux ni stratégique. Mais en plus le faire avec un feat qui n’a convaincu personne (Je n’ai rien contre SDM mais s’il pouvait arrêter de crier, ce serait pas de refus), c’est un game over total pour le côté guerre.

Pour le côté Paix…


« Un garçon, une fille, j’sais même pas comment j’ai fait

Enfin si, mais tu m’comprends, à 25 ans j’me voyais fait

Calibré rue De la Paix, c’est devenu très mal fréquenté »




Plutôt Paix ?


Pourtant, malgré tout, il reste une once de bonne conscience dans cet album. On ressent bien que Booba a passé un cap générationnel et qu’il est prêt à céder son Trône, comme le roi dans Games of Thrones. Il assume bien ses 44 ans et se satisfait dans son rôle de père puisqu’il mentionne ses enfants à plusieurs reprises dans cet album, dans les précédents (on pense notamment à Petite fille dans Trône) ou encore dans les apparitions de Luna et Omar sur les réseaux de leur papa.


« Autant de violence, est-elle nécessaire ? / Son gros cul me cache la vue sur la mer » extrait de Vue sur la mer, prouve bien qu’il observe le monde avec du recul, lucidité et qu’il aimerait voir moins d’obscurité dans le paysage mondial actuel. On peut aussi penser qu’il est heureux d’avoir un paysage apaisant en retour de son talent, un peu plus loin des problèmes bien qu’il reste paré.


Pour terminer, il conclut son Final avec deux sons de Piano-Voix, l’ultime son avec Bramsito découvert sur Sale Mood et le spectaculaire Grain de Sable avec la révélation: Elia. Vous la connaissez peut-être pour ses collaborations avec Ash Kidd, mais la jeune chanteuse est époustouflante sur un son de variété dans le dernier album d’une Légende du rap, qui plus est La Légende du rap français. C’est unanime, elle aurait pu faire rougir Booba s’il n’était pas assez courageux pour chanter avec elle. Mais il l’a fait.


Cette douceur musicale apporte un vent de fraîcheur nécessaire dans l’album très lourd instrumentalement parlant. Le son décrit le rêve d’un grain de sable sur fond d’amoureux qui dansent, une scène poétique et théâtrale à la fois, qu’on ne retrouvait pas forcément sur Here, le feat avec Chris and the Queens qui est plutôt similaire dans le genre musical.


En conclusion ce thème n’est pas si manichéen voire est très nuancé, car il souhaite la paix dans la suite de la musique mais se veut toujours aussi compétiteur entre Mainstream et le label 92i. Plus généralement, il déplore les progrès technologiques bien qu’il soit très futuriste et déconstruise les conflits géopolitiques (bien que ce soit fait de manière maladroite). Booba restera un mélancolique incompris.




LE MECENE VISIONNAIRE



From Charo to Charitable


Un des sons ayant fait le plus parler, reste Dernière fois en feat avec Bramsito. Au départ, j’étais comme tous les fans de Booba, à ne pas comprendre la logique de faire un feat en dernier son de dernier album. Ça manque de sens. Alors je me suis faite violence et j’ai réécouté jusqu’à comprendre pourquoi Booba affirme que c’est son meilleur album (c’était plus facile qu’une vidéo de Wil Aime).


Le Duc recherche un successeur, même si on est très loin de pouvoir affirmer que Bramsito soit en mesure de prendre sa place, il reste néanmoins son petit protégé. On le sait, Booba est l’ange gardien de plusieurs artistes. Il souhaite tout de même garder un œil sur l’avenir et en ayant révélé celui-ci, il se garantit de rester proche de la scène française, peut-être même qu’il dévoilera son ombre du jeune prometteur pour qu’il puisse briller aussi.


Ici, ils ont le même refrain, Booba représente l’ancienne génération et Bramsito la nouvelle. Booba marque encore une fois son immortalité à travers tous les jeunes qu’il aura fait émerger et qui lui seront ou non reconnaissant.



Et après… ?


Beaucoup se sont plaints que cet album manquait de fraîcheur. Je pense bien au contraire qu’il a pris des risques en chantant et invitant autant d’artistes à collaborer puisqu’il devait forcément s’attendre à ces critiques et retombées. Étant le meilleur, il l’affirme juste en imposant ses lois. Toutes proportions gardées, cet album n’aurait pas dû prendre autant de temps à produire contrairement à ce qu’il a déclaré, 3-4 ans c’est un peu excessif.


On va finir sur les différents genres musicaux qu’il arbore en laissant de côté son rap auto-tuné. En mélangeant autant de style mais en ne les exploitant que de surface, Booba a trouvé une bonne alternative (mais pas la meilleure) pour obtenir un album cohérent, convenable, correct. On retrouve un fil rouge entre la drill et la variété, une ligne conductrice de mélancolie énervée avec le cœur encore lourd mais déjà plus apaisé. Booba explore une phase de paix très obscure, toujours aussi culotté et c’est là toute la symbolique à mon sens.




Pour conclure : C’est un bon album, peut-être pas intemporel, le temps nous le dira, mais il est beaucoup plus destiné aux mélomanes et orienté détails que ceux qui veulent simplement chiller. Les bonnes choses se relisent, se réécoutent et se revoient, alors faites-vous couler un bain et profitez d’une réécoute plus attentive, vous ne serez pas déçus.

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